Depuis cinq jours que j'avais laisse la maison paternelle, j'errais a
l'aventure lorsqu'un matin j'arrivai sur le bord d'une clairiere. Au
milieu, une biche, nonchalamment couchee, suivait avec orgueil et amour
les ebats d'un jeune faon qui folatrait aupres d'elle. Ils etaient tous
deux dans une parfaite securite. J'avais des provisions en abondance;
mais l'instinct feroce deja me dominait. J'ajustai donc le faon, le coup
partit et il tomba a deux pas de sa mere. Un jet de sang s'echappa de sa
poitrine. Surprise d'abord, la malheureuse biche regarda autour d'elle
pour se rendre compte sans doute du lieu d'ou venait le danger, puis
ses regards se porterent sur son petit. Il etait etendu par terre, ses
membres s'agitaient et se raidissaient sous l'etreinte d'une supreme
agonie. D'un bond elle fut aupres de lui, et lorsqu'elle apercut le flot
de sang qui ruisselait de sa blessure, elle poussa un gemissement si
triste, si plaintif qu'il eut attendre le coeur le plus endurci. Ce cri
d'une inenarrable douleur, qui ne peut venir que des entrailles d'une
mere, me rejouit cependant interieurement, et ce fut avec plaisir
que j'observai ce qui se passa. La pauvre mere, en continuant ses
gemissements, se mit a lecher la blessure et a inonder son petit de
son souffle, comme pour rechauffer ses membres que le froid de la mort
saisissait. Elle tournait autour de lui, essayait a soulever sa tete,
puis s'eloignait ensuite de quelques pas comme pour l'engager a la
suivre et a fuir avec elle. Elle revenait un instant apres, recommencait
encore a l'appeler comme elle avait du faire bien des fois dans sa
sollicitude maternelle, pour l'avertir d'eviter un danger; mais le
faon ne bougeait pas, il etait bien mort. A mesure que le faon se
refroidissait et qu'elle voyait ses efforts de plus en plus inutiles,
ses braiements devenaient plus desesperes et dechirants. Parfois elle
courait a chaque coin de la clairiere et faisait retentir les echos des
bois de ses plaintes, comme si elle eut appele au secours, puis elle
revenait en toute hate aupres de son petit, paraissant refuser de croire
qu'un etre fut assez mechant pour lui avoir donne la mort, Enfin,
lorsqu'elle se fut assuree que tout espoir etait perdu, elle s'arreta
morne et immobile aupres de lui, appuya ses narines sur les siennes.
C'etait le dernier baiser que donne la mere sur les levres glacees de
son enfant. La clairiere etait d'une petite etendue, la biche avait
la face tournee vers m
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