faire; d'un cote son coeur, de l'autre cote son orgueil.
Le mari disparut, emportant Marguerite.
L'Espagnol survint.
--Vous etes folle, ma belle amie, de nous donner ainsi en spectacle. Qui
est-ce donc que cet homme?
La femme dit tout haut, de l'air du monde le plus degage:
--C'est mon frere. J'ai voulu embrasser ma niece qui est ma filleule.
Et l'Espagnol, entrainant la dame:
--Toutes ces scenes de famille me font pitie. Prenez-vous une glace
avant le cafe?
Naturellement j'avais tout vu sans avoir l'air de ne rien voir. Pour mes
voisins, je n'avais suivi des yeux que la fumee de ma cigarette. Aussi
l'Espagnol me dit-il, comme si rien ne s'etait passe.
--Vous ne me refuserez pas de prendre le cafe avec nous.
--Oui, repondis-je, dans ma curiosite de mieux connaitre cette femme.
J'allai donc m'asseoir a la table de l'Espagnol qui, pour me faire
honneur, demanda au petit Japonais, car il y a la un Japonais, comme
partout, de la fine champagne vraiment fine: quatre francs le petit
verre. Et Dieu sait si le verre est petit!
On causa de ceci et de cela, sans rappeler le moins du monde la scene de
famille.
Mais l'Espagnol s'etant eloigne de quelques tables, appele par Angel de
Miranda, qui regalait deux femmes du monde, je dis sans preambule a la
jeune mere.
--Vous avez bien envie de pleurer, n'est-ce pas?
Elle me regarda et montra deux larmes. Je lui pris la main.
--A la bonne heure, voila le coeur qui parle.
--En doutiez-vous?
--Eh bien, alors, que diable faites-vous ici?
--Ah! c'est toute une histoire, l'histoire d'une fille bien elevee,
mariee a un brave homme qui meurt a la peine. Si vous saviez ce que
c'est que la vie a Paris avec dix-huit cents francs par an!
--Oui, c'est la misere noire, parce que c'est la misere qui ne rit
jamais.
--Que voulez-vous qu'on fasse dans un interieur ou il n'y a ni de
quoi vivre ni de quoi s'habiller. Je me suis extenuee a faire de la
tapisserie et du coloriage, ne me couchant jamais qu'apres minuit.
J'avais fait le sacrifice de moi-meme, mais ma fille etait si gentille!
Comment n'avoir pas de quoi la faire belle, la pauvre petite? Mon mari!
Je n'avais plus le courage de sortir avec lui, si mal habilles, lui
comme moi. Et la cuisine! Je ne suis pas gourmande, mais a la fin
l'estomac se revolte.
--Et vous aimez mieux cette cuisine des Ambassadeurs?
--Ma foi, oui; je ne me fais pas meilleure que je ne suis; mais quand
j'ai vu ma fille, qu
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