i peut-etre n'avait pas dine, j'aurais voulu etre a
cent pieds sous terre.
--Croyez-moi, lui dis-je, puisque Dieu vous a donne une fille, soyez sa
mere.
--Et que voulez-vous que je fasse?
Je ne suis pas un apotre, mais je crois que je pris la parole
evangelique.
--C'est bien simple, madame, vous allez sauter dans un fiacre qui
arrivera plus vite que votre mari et votre fille dans l'ile Saint-Louis;
vous monterez quatre a quatre, apres avoir defendu a la portiere de rien
dire; un quart d'heure apres vous, le pere et l'enfant ouvriront la
porte. Vous les recevrez a genoux, et tout le monde sera content.
La jeune femme me regarda pour voir si je ne me moquais pas d'elle.
--Pourquoi me dites-vous ca.
--Je vous dis ca, parce que j'ai vu votre enfant pleurer.
Mais j'eus beau dire, la mere coupable ne se laissa pas gagner a sa
cause. Elle fit la superbe; elle declara qu'elle s'etait fanee dans
cette vie absurde. Elle "engueula" son mari--le pauvre homme!--parce
qu'il n'avait pas eu le genie, comme tant d'autres, de lui donner sa
place au soleil. Quand il revenait vers elle, il ne lui apportait que
sa tristesse. Elle parla de son heroisme a elle pour lutter contre
la cuisine des pauvres gens. Elle en etait devenue anemique. Elle se
promettait de faire sa fille riche pour l'affranchir de toutes les
peines de sa mere.
Comme elle etait en train de se donner raison, l'Espagnol vint reprendre
sa place. Je desesperais de rendre a la mere l'enfant. Mais voila qu'a
propos d'un mot malsonnant, ils se disputent tous les deux, comme on
se dispute quand on ne s'aime pas, car ils en etaient, comme a dit
Chamfort, au contact de deux epidermes.
Naturellement, j'attisai la dispute en donnant raison a tous les deux;
si bien que tout a coup elle s'emporte, elle se leve, elle brise sa
coupe, elle s'enfuit comme une bourrasque.
L'Espagnol, qui latinisait un peu, eclata de rire en disant: _Fugit ad
salices_.
Eh bien! qui le croirait? elle retourna chez son mari, dont tous les
torts etaient effaces par les torts de l'amant. Dans sa gourmandise des
joies de ce monde, elle avait deja mange trop de fruit defendu. Le foyer
la reprit a l'enfer.
V
Le lendemain, je recus un petit billet renfermant ces lignes:
"Monsieur, vous avez raison. Dieu peut me
faire subir toutes les miseres sans pour cela
effacer le bonheur que j'ai eu de me retrouver
mere sous le pardon de mon mari. Il m'a
dit: J'ai tout oublie. Mais
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