boutissant a la disparition du pretendu, le jour ou la vraie fortune etait connue. Elle haissait deja son pere pour l'avoir ruinee, elle etendit sa haine a tous les etres vaniteux et sceptiques qui voulaient seulement se divertir d'elle, jouir de sa beaute, se faire honneur de ses preferences. Le mariage, des lors, lui fut la terre qu'il faut conquerir de violence ou de ruse: c'est ainsi qu'ils se rencontrerent, elle et Julien, comme deux adversaires armes.
Et le monde, a leur rencontre, se rangea pour ainsi dire en cercle autour d'eux, curieux de les voir aux prises, tant il semblait evident qu'ils devaient s'aimer, eux, le plus beau couple de Paris, eux de la meme race, d'une aristocratie de forme et d'elegance si manifeste que, la contre, meme la jalousie desarmait. On eut l'impression d'une fatalite, d'une loi hors les vouloirs humains, et cette fatalite, cette loi, eux-memes la subirent malgre la revolte de leur arbitre. Julien fut le plus aveugle et le mieux possede; mais Maud, enragee contre cette defaite imprevue, dut s'avouer qu'elle aussi etait conquise, et que ses resistances ne tenaient pas contre un baiser de l'homme a qui, malgre tout, elle ne voulait pas se donner. Elle lui fit payer cruellement sa faiblesse: elle lui declara qu'elle se marierait quand il lui plairait; qu'elle lui cedait, en quelque sorte, le provisoire de sa vie; elle ne s'accorda qu'a demi. Julien se soumit; il aimait; puis l'influence de Maud affermissait ses resolutions hier flottantes... Soit ! Il serait l'amant incomplet de cette admirable fille jusqu'au jour ou elle se marierait; il serait son amant le lendemain du mariage. N'etait-ce pas la un pietinement assez crane des lois convenues, une belle revanche de sa vie ballottee d'a present ?
Des l'annee qui suivit leur rencontre, les circonstances adverses les aigrirent encore, et leur resolution s'en fortifia de marcher unis et complices contre la societe dont ils souffraient. Sur les conseils de Maud, Mme de Rouvre avait demande et obtenu le divorce; quelques mois apres le jugement, M. de Rouvre mourut. Sa succession liquidee, il restait a la veuve une soixantaine de mille francs, deux cent mille a Maud, autant a Jacqueline. Vivant ensemble, les trois femmes pouvaient faire figure mondaine sans ecorner leur capital. Mais Maud entendait ne point dechoir de son luxe d'hier. Il fallut un vaste appartement, trois domestiques, un attelage de deux mille francs par mois. Ce qui manquait au revenus, Maud l'empruntait sa
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