mienne."
Mais le temps a marche depuis les du Tillet et les Rubempre. Paris n'est plus une proie feodale a partager entre quelques aventuriers hardis: c'est un champ morcele en mille parcelles ou chaque appetit democratique assouvit sa fringale. Rastignac est devenu legion: les scrupules n'encombrent personne, et quand la fortune elit celui-ci, celui qu'elle depouille n'etait pas plus digne. Puis Julien, reellement beau, reellement seducteur, n'etait Rastignac qu'a demi: lui-meme aimait trop les femmes. L'irreductible sincerite de son desir paralysa ses projets de conquete. Jusqu'au jour ou il rencontra Maud de Rouvre, il fut seulement un jeune meridional tres elegant et tres fete. Il menait assez large vie, grace au bonheur du jeu et aux liberalites d'Asquin qu'il payait en complaisances; car le depute, la soixantaine passee, restait coureur et, naturellement, dissimulait ses fantaisies eux catholiques electeurs de l'Aude. L'appartement de la rue de la Baume fut ainsi loue et paye par Asquin au nom de son secretaire, qui l'habita a la condition de le livre de temps en temps aux rendez-vous du depute.
Julien de Suberceaux fut presente aux Rouvre par Paul Le Tessier, depuis senateur, alors depute de Niort. Il connaissait M. de Rouvre pour avoir vu ce haut gentilhomme a favoris blancs, a facons correctes, assis a toutes les tables de baccarat de Paris, et pour l'avoir rencontre dans tous les soupers de filles. On le reputait riche, ignorant les breches effroyables que le jeu et les femmes avaient faites a la dot d'Elvira Hernandez, depuis que la famille vivait a Paris. Lorsque Julien se dit alors: "J'epouserai Maud," il pouvait se persuader encore qu'il suivait son programme de fortune et de conquete; la verite, c'est que Maud, du premier coup, subjugua ce coeur infirme, masque en aventurier. Elle le domina par sa beaute, certes, par la royaute de sa grace; mais elle l'asservit surtout parce qu'il reconnut en elle une ame pareille a celle qu"il se souhaitait a lui-meme et qui lui manquait: -- une ame ardente et implacable de revoltee, decidee, coute que coute, a vaincre la fortune et a pietiner la foule. Maud, a dix-huit ans, se savait ruinee, reduite a l'heritage d'un oncle maternel. Courtisee par les hommes presque depuis l'enfance, experte a les surprendre, elle avait eprouve deja la difficulte de les garder a soi, de les conduire jusqu'au mariage, avec une dot si mediocre. Deux fois, elle connut l'affreux deboire des "flirts" affiches dans Paris, a
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