e la disputa pour l'embrasser.
Paul Le Tessier l'attendait dans la chambre de Jacqueline, qui servait de loge aux femmes: elle se jeta gentiment dans les bras qu'il lui tendait; il la baisa sur les deux joues.
-- Vous etes content ?
-- Oh ! ma cherie, vous etes une grande artiste. Mais, je l'espere, cette grande artiste ne sera pas pour le public.
Ils echangerent un regard ou se scellait l'accord de leur avenir.
-- Vous etes bon, dit la jeune fille. Vous m'aimez gentiment, comme il faut m'aimer. Je me sens si seule... et c'etait si effrayant de chanter ici, devant tout ce monde, avec l'inquietude de maman que j'ai laissee bien souffrante. Maintenant, allez-vous en. Vous me compromettez. On vient.
Mme de Rouvre, presque jolie dans une robe de velours noir a paillettes clair de lune, Maud, Mme Ucelli, les Reversier, accouraient feliciter la jeune fille; Paul s'esquiva.
Rentre dans le hall, il y rencontra Julien de Suberceaux qui s'y promenait presque seul. Lui etait a une de ces minutes ou la joie personnelle surabondante fait aimer la vie et tous les hommes. Il serra avec une sorte d'effusion la main de Julien, tout de suite refoidi par le regard sec du jeune homme. Puis, comme il gagnait le buffet, il surprit ce bout de dialogue entre le romancier Espiens et Valbelle qu'entouraient des gens du monde administratif:
-- Vous savez le mot de la petite Duroy a son protecteur Le Tessier, en sortant de scene, tout a l'heure ?
-- Non.
-- "Oh ! mon ami, je voudrais que ma mere fut la... Elle qui n'est fiere que de ma soeur Suzanne !"
La galerie d'ecouteurs rit aux eclats. "Cette bonne Mathilde !... Cette bonne Suzon !" Paul passa, chatouille par l'envie de tomber sur ces niais mechants a coups de pied et a coups de poing. Mais il passa. A qui s'en prendre ? C'etait le faux esprit de Paris, calomniateur, sans indulgence, meprisant l'effort honnete, joyeux des decheances, hostile aux relevements. "N'importe, pensa-t-il, je l'epouserai." Et la joie de venger la chere petite, si vaillante, de l'imposer a ces droles, lui rechauffait la poitrine.
Le buffet, innovation de Maud, etait remplace par des petites tables dispersees dans la salle a manger et dans le fumoir voisin, qu'on avait decores en auberge normande. On s'asseyait ainsi en groupe sympathique, on helait les maitres d'hotel comme au cabaret.
-- C'est vraiment le dernier mot du gout mondain moderne: les jeunes femmes, les jeunes filles pouvant s'etabler paisiblement en par
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