"A la bonne Mathilde... son ami". La bonne Mathilde ! Bonne, c'avait ete son surnom toute la vie; une bonte vide et vaine, un peu niaise, passant de la prodigalite a l'avarice, toujours preoccupee d'amasser une fortune et se decavant subitement de toutes ses economies pour le plus sot caprice, parfois meme par toquade de charite. Que serait-elle devenue si, durant vingt annees de sa vie, elle n'avait pas garde l'amitie genereuse et accommodante d'Asquin, a qui suffisait, lorsqu'il venait a Paris, le plaisir de retrouver une sorte de famille entre une maitresse encore jolie et la jolie Etiennette, bien elevee au couvent de Picpus, qui l'appelait papa ? La mort subite du depute monarchiste de l'Aude, sans testament, reveilla rudement la pauvre femme de joie, endormie dans cette confiance puerile qu'elles ont presque toutes, qu'avait du moins cette generation-la, car la contemporaine est plus pratique. Du coup s'aggrava une infirmite cardiaque, jamais soignee, traitee par la fete jusqu'a quarante ans: Mathilde tomba malade. Suzanne, deja lancee, jeta un peu d'argent dans la maison; mais la sagesse d'Etiennette evita la debacle. Etiennette etait sortie de Picpus a la mort d'Asquin: elle avait dix-sept ans. Le jour de sa naissance, son pere, ordonne, charitable dans ses incartades, avait verse a son benefice, a une compagnie d'assurances sur la vie, une somme d'environ sept mille francs qui, vingt ans plus tard, constituaient une dot de vingt mille francs. L'avenir immediat etait donc assure, aux conditions d'une vie modeste. Tout en accomplissant ses deux annees de Conservatoire, Etiennette liquida la situation de sa mere qui, decidement, ne guerissait pas, installa le petit appartement de la rue de Berne avec le produit de la vente de quelques bijoux de valeur, aussi en empruntant sur son contrat qui fut ainsi escompte tout entier trois ans a l'avance.
Elevee a l'ecart par la volonte de son pere, sortant seulement lorsqu'il etait a Paris, la jeune fille n'avait souffert que de loin de la situation de sa mere et de sa soeur. La maladie de Mathilde, la fuite de Suzon suivirent d'assez pres sa sortie du couvent. Pourtant, en ces quelques mois, elle ne vit que trop les dessous de ces deux vies; son coeur vieillit aussitot, et de la vint, sans doute, la resolution d'honnetete qui la sauvegarda au Conservatoire, ou tant d'autres prennent leurs premiers grades de filles galantes. Les amis de "cette bonne Mathilde" la visiterent assidument pendant les premiers te
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