t toute la nuit et perdit constamment, lentement, chaque banque soldee par quelques milliers de louis. On leva la partie vers cinq heures, dans l'effervescence de joie naive, insolente, ou les banques mauvaises mettent les pontes heureux. De fait, tout le monde gagnait autour de Suberceaux, qui perdait trois cent mille francs, son gain de la semaine.
Joueur toujours impassible: mais, ce jour-la, il forca l'admiration des plus hostiles. Il avait laisse couler cette fortune entre ses doigts avec une insouciante absolue; et, quand il sortit du club, quand il regagna son logis, il respirait l'air cordial de cette matinee de printemps, les poumons joyeux et larges.
Faut-il le dire ? il eprouvait, de la continuite de sa malechance, une sorte de satisfaction. Ame de feticheur, il s'etait fait en lui-meme, a son insu, cette "reussite" etrange: "Si je perds, cette nuit, c'est que le mariage n'aura pas lieu..." Il avait perdu autant qu'il pouvait perdre; il rentrait chez lui n'ayant plus a lui, peut-etre, que ses vetements; aussi rapportait-il cette foi instinctive: le mariage ne se ferait pas. Il ne s'attarda pas a chercher comment; il etait tranquille; il sentait dans le chaos de sa tete germer des projets qui suivraient leurs cours le lendemain, encore aussi indistincts que la fleur dans ces oignons qu'une nuit fait pousser, germer, fleurir. Il se coucha paisiblement et s'endormit calme, la chemise de Maud epandant son parfum sous ses narines.
C'etait bien une ame de joueur a travers la vie, a la fois outranciere et puerile, superstitieuse et temeraire, l'ame des joueurs, l'ame des femmes, l'ame aussi des conquerants, quand il plait au hasard.
III
Le quartier Saint-Sulpice, au milieu des bouleversements de voirie qui ont rendu meconnaissable presque toute la rive gauche de la Seine, a garde sa curieuse physionomie sacerdotale. A l'ombre des tours justement comparees par Victor Hugo a des clarinettes monstrueuses, a l'ombre du grand seminaire, ou ne furent point changees les dalles du parloir depuis le temps ou elles se mouillerent des pleurs de Manon, toutes les industries laiques qui vivent du pretre et du fidele s'y groupent dans la penombre d'installations discretes, boutiques silencieuses ouvrant sur des voies etroites, presque obscures, marchands de statues, marchands de cierges, marchands de chasubles, librairies qui vendent des missels, des breviaires, des _horae diurnae_. Les rues elles-memes portent des noms fanes, vieillots, ecclesi
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