sesperees; Maxime ne nous expliquait rien. C'est notre chef de famille, n'est-il pas vrai ? Il nous a commande de rentrer a Vezeris, nous lui avons obei. Oh ! nous avons passe de tristes moments... Comment cette femme a-t-elle pu faire souffrir un homme tel que Maxime, et qui l'aimait tant !
Apres un silence, elle demanda:
-- Est-ce qu'_elle_ est mariee ?...
-- Non, repliqua Le Tessier... Peut-etre un jour se mariera-t-elle. Mais pour le moment, elle est absente de Paris et elle n'est plus de la societe. Il ne faut plus parler d'elle.
-- Ah ! fit Jeanne, sans rougir, car elle n'avait pas nettement compris.
Pourtant, ayant reflechi quelques instants, elle ajouta:
-- Pauvre femme !
Ils atteignaient le village d'Azay. C'etait l'heure du repos meridien des hommes et des femmes qui avaient travaille a la vendange. Ils revenaient par bandes joyeuses, le sang de la vigne aux levres, en cette griserie particuliere ou la cueillette du raisin met les paysans.
Maxime, triste et paisible, contait l'histoire de l'endroit:
-- Ces grosses pierres sont tout ce qui demeure du chateau. La legende conte que mille hommes furent brules avec le donjon... Aujourd'hui, vous le voyez, il pousse des legumes autour de ces vestiges. Meme la terre y est meilleure, peut-etre a cause de l'effroyable charnier qui l'a fertilisee.
Un paysan passait, tres vieux, la taille deviee par le travail du sillon, la face embrasee de soleil. Maxime l'appela:
-- N'est-ce pas, pere Laurent, que la terre est bonne par ici, autour du chateau ?
-- Oh ! ben oui, m'sieu le comte, fit l'homme, ben meilleure. A cause de la bataille, sans doute, qu'y a eu la, aut'fois, _devant la Revolution_.
Il regardait d'un oeil envieux cette terre grasse et riche, enrichie, engraissee par du sang. La vaste etendue qui avait ete le theatre de ces tueries legendaires s'apaisait, retournee par la force des choses, par le voeu immanent de la nature, aux besognes regulieres de l'annee, aux semailles et aux recoltes, aux bles d'ambre, aux vignes pourprees; -- le petit village, une fois traverse par la guerre, rentrait d'annee en annee plus avant dans la tradition sans histoire, dans la vie qui n'a pas de nom.
Jeanne souriait a cette terre feconde, a ce soleil, a l'avenir, oubliant dans l'egoisme de son propre bonheur, et les recentes miseres de ceux qu'elle aimait et le passe tragique du pays natal.
Mais Paul et Hector, observant Maxime qui ne parlait plus, isole par son reve, deviner
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