e plus beau de nos amis." Puis il sortit et acheva sa soiree a l'Opera, content d'une journee ou il avait goute cette sensation assez rare: entrevoir le fond d'un coeur humain en etait de passion.
Julien cependant, de ce pas accable, vaincu, qu'Hector avait guette de la fenetre, tournait l'angle de la rue Saint-Honore, la remontait vers Saint-Philippe du Roule, gagnant inconsciemment sa maison. Mais, devant sa porte, il revint a lui... Rentrer la, retrouver eparse dans l'air, attachee aux tentures, refletee dans l'au-dela mysterieux des glaces, cette poussiere, cette fumee du Soi aboli que laissent trainer les jours echus, oh ! non, plutot s'echapper meme du present, s'oublier, oublier ! Il rebroussa chemin a la hate, comme s'il eut peur de voir, par la petite porte grise subitement ouverte, sortir des fantomes pareils a lui-meme.
Droite et vide, une rue, qui ouvrait de l'autre cote du boulevard sa longue perspective eclairee par les deux chapelets d'etoiles jaunes, l'attira, propice a une marche distraite. Il s'y engagea, il sa suivit, etonne du bruit de ses pas sur l'asphalte sec, etonne de son ombre girante a chaque bec de gaz, etonne de se sentir vivre. Car le probleme de la vie, de la personnalite permanente, oublie dans le train-train des jours sans evenements, requiert imperieusement l'etre humain aux heures de crise grave. Celui qui marchait sans but en ce moment, machine desorientee et folle, rien que pour faire jouer ses rouages, _voyait_ un autre etre vivre, penser, patir, et cet etre etait lui-meme: et, a constater que c'etait bien lui, en effet, il avait, de minute en minute, l'emoi d'une chute pesante, inattendue.
"Dans neuf jours ! Mariee dans neuf jours..." Il prononcait ces mots a mi-voix et, chaque fois, il lui semblait qu'il disait quelque chose de contradictoire avec sa propre vie, avec l'existence ambiante des choses reelles, comme s'il eut dit: "Je suis mort," ou bien: "C'est du reve, ce sont des images vaines, ces maisons, cette rue, ce bruit de mon pas..." Chaque fois, apres le choc de la pensee: "Maud se marie... c'est fini... c'est fait..." il rappelait la vie d'une aspiration spasmodique, en asphyxie qui cherche l'air desesperement, dans l'atmosphere sans air. Vite comme le reve, ou les annees s'entassent dans quelques secondes, passaient, repassaient devant sa memoire les faits, les dates, les paroles, le tissu du passe qui devait, lui semblait-il, emmailler le present, le contraindre a _n'etre pas_ la separation, la fi
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