ux ans, le souffle cruel de la realite avait tout emporte, meme les prieres du matin et du soir, meme les pratiques les moins genantes. Le chagrin present, l'effroi de l'isolement ressusciterent les pieuses paroles sur les levres de la jeune fille: "Je vous salue, Marie, pleine de grace... Souvenez-vous, o tres misericordieuse Vierge Marie..." et les gestes de piete se rapprirent d'eux-memes aux mains infideles, le frappement de la poitrine, le baiser sur la croix du pouce et de l'index. Sainte piete, si precieuse que son plus faible echo console encore un miserable qui l'invoque !
Du bruit dans la chambre... Etiennette se redressa: un pretre venait d'entrer, accompagne de Mme Gravier, et tandis que celle-ci, aidee de la garde, preparait les huiles pour les sacrements, ce pretre s'approchait du lit, prenait la main, disait: "Ma chere fille, m'entendez-vous ?" Etiennette ecouta avec le pretre: elle percut l'echo de l'horrible phrase reconnaissable pour elle seule: "Oh ! les hommes, j'en ai assez !"
-- On m'appelle bien tard, dit severement le pretre a la jeune fille.
Il etait maigre et petit, avec des cheveux gris tout frises, une soutane de fantaisie en cachemire fin.
-- Ecartez-vous, dit-il encore a l'enfant tout en larmes.
Etiennette alla rejoindre au bout de la chambre la garde et Mme Verdier qui s'etaient agenouillees; elle-meme s'agenouilla et essaya de prier. Le pretre murmurait les paroles de l'onction: "_Misereatur tui omnipotens Deus... Indulgentiam, absolutionem et remissionem peccatorum...-" Son oraison latine, sifflante et chantante, s'unissait maintenant au vagissement de l'agonisante de plus en plus rauque et indistinct, et pourtant Etiennette y distinguait toujours la meme exclamation desesperee, que sa mere eructait maintenant coup sur coup, sans intervalle: "Oh ! les hommes... j'en ai assez !"
L'horrible mot, dont nul autre qu'elle ne connaitrait le secret ! Comme cela cauterisait le coeur, et pour toujours ! Ah ! de cette vie-la, de l'esclavage abominable aboutissant a cette agonie, jamais, jamais pour elle-meme ! L'alanguissement qui, tout a l'heure, s'etait empare de son coeur a songer combien elle serait seule desormais, se dissipa. "Jamais je ne dependrai d'un homme, dusse-je etre ouvriere, femme de chambre ou morte."
Ayant fini les onctions, le pretre dit une courte priere au chevet de la mourante, puis il appela Etiennette et l'emmena dans le salon. Il lui parlait d'un ton severe, comme irrite de la trouver si j
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