n'a pas voulu... voulu dire pourquoi elle etait partie..." De nouveau la voix charria des residus de mots meconnaissables, longtemps, longtemps, combien de temps ? Etiennette souffrait de se sentir plutot nerveuse qu'attendrie: "Je ne pleure pas, pourquoi ?... Cependant j'ai du chagrin..." Pour se forcer a pleurer, elle se replia sur soi-meme. "Je vais etre toute seule..." Certes, la pauvre Mathilde, depuis de mois, n'egayait point la maison. C'etait pourtant la famille, la chair commune, la pensee qui vous a connue toute petite... "Seule... Je n'ai personne au monde..." Les larmes vinrent aussitot a cet appel de l'egoisme humain. "Qu'est-ce que je vais devenir ? Je n'ai personne au monde..." La figure, la voix de Paul Le Tessier traverserent sa pensee: "Je voudrais qu'il fut la. Il allait venir, pourquoi ai-je refuse ?" Elle sentit bien que, sa mere une fois morte,elle se refugierait dans les bras de cet ami, qu'il ferait d'elle ce qu'il lui plairait, pourvu qu'il la gardat, pourvu qu'il ne la laissat pas toute seule.
-- ... Oh ! les hommes, j'en ai assez !
Cette phrase, jaillie toute claire des levres de la mourante, parmi son balbutiement aussitot recommence, epouvanta Etiennette, comme si un mort ou un fantome avait parle aupres d'elle. Elle la connaissait bien, pourtant, l'exclamation familiere de la pauvre Mathilde devant les deboires de sa vie d'entretenue ! C'etait le degout du metier, l'horreur de la domestication du sexe, l'appel au chomage, a la greve... "Oh !les hommes, j'en ai assez !" A travers le vagissement indistinct de l'agonie, la phrase revenait maintenant abimee, boiteuse, informe, mais reconnaissable pour Etiennette qui la guettait et, chaque fois, a la reconnaitre, sentait une brulure a son coeur: "Pourvu que la garde n'entende pas !" Etiennette ecouta: la garde ronflait doucement. Alors la jeune fille se leva, elle murmura: "Maman..." en essayant de prendre cette main crispee qui s'agitait, et qu'elle lacha aussitot en etouffant un cri, car la main lui avait serre les doigts, entrant les ongles dans la peau. Et l'horrible phrase revenait toujours dans l'eboulis des syllabes: "Oh !... les hommes... j'en ai assez !"
A genoux pres du lit, bouchant ses oreilles pour ne plus entendre, Etiennette se mit a prier... Prier ? Elle avait eu la piete de toutes, la piete facile et coquette des couvents, si vaine, si affleurante que l'homme le plus vaguement deiste est souvent plus pres de la foi qu'une congreganiste a medaille. En de
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