ra Krauss.
Il souriait en les regardant sortir, les cheres petites detraquees, presque toutes ses clientes et ses confidentes. Leur theorie multicolore s'exilait sous la conduite des deux filles de la maison; quelques hommes, jeunes ou murs, professionnels avoues et toleres du flirt virginal, les accompagnaient: Lestrange, Hector Le Tessier, le peintre Valbelle qui glissait des impertinences dans les frisons noirs de Dora Calvell.
L'exode fut salue de rires et d'applaudissements. Du seuil, avant de disparaitre, Jacqueline cria:
-- Et maintenant, racontez vos petites horreurs entre vous. Notre innocence est a l'abri.
Guide par Maud, le troupeau rieur des robes de mousseline claire, flanque des quatre ou cinq habits noirs, se refugia dans le petit salon ou, tout a l'heure, pendant la symphonie de Borodine, Lestrange et Jacqueline s'etaient rejoints. Elles etaient une quinzaine, dont dix jolies; les autres, a part une ou deux disgraciees, assez elegantes, assez provocantes pour gagner des courtisans. Et d'etre la, enfermees avec des hommes qui, tant de soirs, leur avaient tenu des propos lestes, au bruit affaibli d'une musique libertine qu'elles connaissaient bien, cela surchauffait leur petit cerveau, cela leur donnait le desir de livrer plus d'elles-memes a ces hommes, leurs fideles, qu'elles etaient fieres d'enlever aux femmes mariees.
Maud avait pris le bras de Jeanne de Chantel que les lumieres, la musique, -- un doigt de champagne aussi, verse par Luc Lestrange, -- grisaient un peu, et qui, malgre ce qui demeurait de touchante gaucherie a sa toilette provinciale, se faisait remarquer par sa jolie taille, le fardeau de ses cheveux bruns, sa peau blanche et ses grands yeux de sainte. Jeanne demanda simplement:
-- Pourquoi ne veut-on pas que nous restions au salon ? Qu'est-ce qu'on va faire ?
Valbelle attrapa la question au vol et repliqua:
-- On va eteindre l'electricite; les messieurs prendront les dames sur les genoux et les embrasseront comme il leur plaira. Cela se fait partout dans le monde, a Paris, mais il faut etre mariee, mademoiselle.
-- Il plaisante, mignonne, dit Maud en baisant le front subitement rouge de l'enfant. La verite est qu'on ne donne plus de soiree musicale sans chansons en argot... et vraiment il est moins genant pour nous, les jeunes filles, d'etre absentes.
-- Mais ce n'est pas de l'argot du tout qu'on va chanter, observa Juliette Avrezac, mecontente d'etre separee de Julien. Cecile m'a dit le progr
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