e tout a fait d'aplomb, on ne doit peut-etre pas la faire chavirer. Ca vous est egal, je suppose, une de plus ou de moins ? Vous en avez tant initie !... Je me demande meme comment ca vous amuse encore.
-- Ca m'amuse ! Pas tant que vous croyez, bien sur, repliqua Lestrange, brusquement assombri. Toutes ces gamines pretentieuses et nevrosees, je n'y tiens pas plus qu'a une cigarette... Mais ce qu'il me faut, c'est les avoir eues, vous m'entendez; les avoir vues en etat d'amour par mon fait, et puis apres elles peuvent se livrer au premier venu, se marier, se faire nonnes ou filles, je m'en fiche ! Krauss appelle mon cas une "nevrosette", parait-il. Le diminutif est de trop. Je vous assure que j'en souffre, a l'angoisse... comme les monomanes. Il y en a qui s'en est apercue; elle me tient, il faudra que je l'epouse.
Il n'y avait pas a douter: cet homme etait sincere. Hector fut gagne par cet aveu singulier, imprevu, seduit par le "cas" amusant qu'il devoilait.
-- Allons, fit-il, je ne vous en veux pas, mon cher.
Ils se serrerent la main avec le pardon facile, le "bon camaradisme" indifferent que les Parisiens professent pour les vices les uns des autres.
-- Un mot encore cependant, objecta Le Tessier. Avec la detestable reputation que vous avez (car votre reputation est detestable, n'est-ce pas ?), comment les meres vous permettent-elles de frequenter leurs filles ? Et comment les filles se laissent-elles prendre a vous, qui n'epousez guere, qui n'aimez pas, -- et elles le savent ?
-- Les meres seraient humiliees qu'un homme, courtisan avere de toutes les jeunes filles, dedaignat leurs filles. Quant a nos cheres petites demi-vierges (le mot est de vous, n'est-ce pas ?), voici leur secret qui est fort simple: donnez-leur vingt romans innocents et glissez dans le tas _le Portier des Chartreux_, vous pouvez etre sur qu'elles liront d'abord celui-la. Eh bien ! moi, je suis un mauvais livre relie en drap et en batiste par Wasse et Charvet. Toutes veulent m'avoir lu.
L'attaque vivement rythmee d'une valse coupa leur entretien. Bouscules par un groupe joyeux qui laissait le cabaret pour le bal, ils rentrerent dans le hall deblaye. Deja les meres se rangeaient le long des murailles; Mme de Rouvre et Mme de Chantel s'asseyaient tout au fond de l'immense salle, sous une tente faite de draperies et de plantes, sorte de salon isole ou la maitresse de la maison pouvait, a l'abri du frolement des jupes et du pietinement des danseurs, recevoir comme a
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