elle pouvait se resigner a quitter sa grande amie, votre mere.
"Maintenant, les "potins" vous interessent-ils ? Je n'en sais rien. Vous me demandez des renseignements sur les gens que vous avez rencontres autour de nous: je vous les donne pele-mele. Sachez donc que nous avons possede a Paris, pendant quelques jours, la duchesse de la Spezzia et toute sa _cortina_, ce qui nous a valu nombre de diners, de soirees, de courses en mail ou ont brille la Ucelli et son inseparable Cecile qui devient spectrale a force de morphine. Sachez que le beau Suberceaux compromet en ce moment la petite Juliette Avrezac, sous le patronage de la mere, une charmante femme qui sait parfaitement l'homme qu'est Julien et ne voudrait pour rien au monde lui donner sa fille. Autre bruit plus surprenant: il est question d'un mariage entre Jacqueline de Rouvre et Luc Lestrange. L'adroite petite soeur de la magicienne fixerait ce celibataire resolu. Marthe de Reversier s'en fondra les yeux, bien sur.
"Telles sont les nouvelles de nos cheres "demi-vierges". Si j'ajoute que le directeur du Comptoir catholique vient de gagner quelques millions, en vendant des actions de mine d'argent americaines avant la baisse, et que Mlle Suzanne du Roy, la soeur de la jolie Etiennette que vous avez admiree a Chamblais, est toujours absente en un pays inconnu, que sa mere est fort malade et menace de rendre au ciel son ame de bonne fille rangee sur le tard, je vous aurai conte tout ce que je sais de neuf touchant les evenements de mon Paris.
"Helas ! en vous les contant, j'ai envie de pleurer sur leur niaiserie, sur leur neant. Dire que j'ai trente ans bientot, que je m'en vais achever ce qui me reste de jeunesse a regarder gigoter tous ces fantoches indifferents: les Suberceaux, des filles de rue et des filles de salon, des tireurs a cinq, des cercleux, des meres de comedie -- et moi-meme ! La piece es telle vraiment si
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drole que cela ? N'en ai-je pas vu deja assez de scenes ? N'est-ce pas une reprise a laquelle j'assiste sans le savoir, et avec des doublures encore ? Ah ! mon ami, ne me jugez pas sur mon inertie ni sur mes divertissements, je vous en prie. Si vous saviez combien de fois j'ai souhaite planter la tous ces faux amis, tous ces faux vivants, et m'en aller resolument etre un autre homme, ailleurs. Mais cet autre "soi", on ne le devient pas seul; il faut une main feminine pour changer la vie d'hommes de mon age. Ou la trouver, la petite main forte et franche ? Et si on la tr
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