ns hesiter a son propre capital, car elle ne voulait pas deposseder sa mere, et Jacqueline etait avisee et avare pour son bien. N'importe ! Maud avait foi dans l'avenir; elle se ruinait avec une confiante serenite. Les evenements faillirent lui donner raison. Un jeune gentilhomme roumain, prodigieusement riche, le comte Christeanu, s'eprit d'elle au point de demander sa main dans la semaine qui suivit leur premiere entrevue. Bien accueilli, il retourna dans son pays pour obtenir l'agrement de sa famille. Pour quel motif se prit-il de querelle, pendant ce sejour, avec un camarade de cercle ? On ne le sut jamais: il se battit au sabre et fut tue. Maud porta le deuil. Hector Le Tessier dit a ce propos: "Cette femme ne sera aimee que parmi des drames."
Presque en meme temps, Julien, lui aussi, etait atteint dans ses oeuvres vives. Aux elections de 1889, M. Asquin echouait contre son concurrent republicain. Le jeune secretaire se trouvait seul a Paris, n'ayant plus a sa portee la bourse complaisante du depute qui, du moins, lui laissa l'appartement de la rue de la Baume, loue pour plusieurs annees. La fortune du jeu se montrait deja moins fidele. Suberceaux connut des passes ardues, d'ou le tiraient les voyages d'Asquin a Paris, tous les deux mois environ: le vieux provincial venait voir sa maitresse Mathilde Duroy, sa fille Etiennette, et dans ce milieu facile, ou Suberceaux avait pris Suzanne du Roy pour maitresse, il revivait quelques semaines sa vie de feteur parisien. A la fin de 1890, il mourut subitement. Suberceaux comptait sur un legs; mais pour lui comme pour Etiennette, le testament fut muet. Encore Etiennette devait-elle beneficier, a sa majorite, des vingt mille francs d'une assurance contractee sur sa tete le jour de sa naissance.
Ce temps ou Maud et Julien sentirent s'appesantir sur eux les serres de la destinee, fut celui ou ils s'aimerent le plus fougueusement. Julien venait chaque jour chez les Rouvre, il passait des heures entieres dans la chambre de Maud qui avait impose sa presence; il s'accoutuma a la dangereuse saveur de cet amour inacheve, dispense a leurs elus par des vierges savantes, plus poignant cent fois que les faciles et complets bonheurs des amours ordinaires. Avec son temperament de grande amoureuse, avec son impudeur resolue, elle fit de Julien son serf, sa chose; elle fit plus: elle lui recrea l'ame a l'image de la sienne, lui suggera ses propres sentiments, galvanisa sa volonte. Pres d'elle, Julien regarda la vie avec
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