monde, puisqu'ils y trouvaient le charme d'un beau site et deux
coeurs qui battaient l'un pour l'autre. Ils se plaisaient surtout a lancer
dans le courant des mottes de terre ou des brins d'herbe, dont la chute
faisait ballotter leur image a la surface, ecartant ou rapprochant leurs
figures, selon le caprice du flot.
--Pourquoi ne peut-on passer toute sa vie ainsi? dit Marie en cueillant une
rose sauvage aux branches d'un eglantier.
Francois la regardait, d'un air reveur, rouler dans ses doigts la tige de
la rose.
--Savez-vous, Marie, dit-il en sortant de son extase, que vous etes la
cause de mes meilleures inspirations. Chacun de vos mouvements m'enchante
et me fait penser. Le sourire de votre bouche, le scintillement de vos
yeux; l'ondulation de vos cheveux, le fremissement de votre robe m'ouvrent
un monde d'idees. En voyant cette rose entre vos mains, je ne goute pas
seulement le plaisir de vous contempler, je me rappelle comment un grand
_maitre_ de l'antiquite inventa l'admirable chapiteau corinthien et je me
dis qu'il ne me serait pas impossible d'attacher aussi mon nom a quelque
decouverte.
--Oui, interrompit Marie, vous pensez beaucoup a moi et encore plus a la
gloire.
--La gloire? je ne l'atteindrai jamais... Je suis trop pauvre pour cela! Je
pensais cependant que le temps est venu de ne plus emprunter a la
decoration orientale ses palmettes et ses fleurs grasses. Je pensais qu'en
reproduisant les vegetaux du pays, en decoupant delicatement dans la pierre
ces feuilles si fines, si elegantes, on ferait mieux que de l'art: on
obeirait a la loi de Dieu, dont la main genereuse a si justement reparti
entre tous les climats les productions capables de les embellir, et qui ne
veut pas qu'on delaisse l'humble fleur de nos champs pour les plantes
orgueilleuses de l'Orient. Quand nos peres commencerent a elever des
eglises, ils furent bien obliges de chercher des modeles en terre
etrangere. Les feuilles d'acanthe, les palmettes venaient naturellement
couronner leurs colonnes massives. Ils s'essayaient, ils n'avaient pas
encore trouve la maniere qui convient aux edifices religieux; leurs arcades
s'abaissaient lourdement sur la tete des fideles et semblaient arreter
l'elan des ames vers le ciel. Plus tard, on voulut plus d'espace, plus
d'air, afin que les hymnes et les prieres montassent plus librement au
trone du Seigneur. Comment se fit ce changement? Comment les maitres de
l'oeuvre obtinrent-ils ce progres? En
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