ere
lui. Le vieux pere embrasse encore une fois sa fille et, avant de regagner
sa maison deserte, il jette un dernier regard au fils du fermier, regard ou
se peignaient toutes ses angoisses et qui disait: "Je te confie mon enfant,
c'est mon bien le plus precieux; respecte-la comme tu respecterais ta
soeur; le bon Dieu saura bien t'en recompenser!" Puis la jument prend son
trot habituel, emportant le dernier lien qui rattachait le vieillard a la
vie... Elisabeth avait le coeur gros et faisait de grands efforts pour
retenir ses larmes. Son compagnon de route respecta sa douleur; il ne se
retourna pas une seule fois pendant toute la duree du voyage; et c'etait
chose vraiment singuliere de voir ces deux jeunes gens si pres l'un de
l'autre, et pourtant si indifferents, comme s'ils eussent ignore que Dieu
leur avait reparti la jeunesse et la beaute. Mais les jours se succederent,
et la grande douleur s'effaca. Puis vint le temps de la moisson; les bles
etaient superbes, abondants. Aussi quel mouvement, et comme la sueur
roulait sur les joues, et comme on apportait de la gaite aux repas qu'on
prenait en plein air! Maitres et domestiques vivaient dans une douce
familiarite. Memes travaux, memes peines, meme table! c'etait la famille du
temps des rois pasteurs; c'etait l'egalite dans toute sa plenitude. Souvent
la meme coupe de terre servait a deux convives, et le breuvage n'en
paraissait pas plus amer a Germain quand les levres d'Elisabeth s'y etaient
deja trempees. Elisabeth a son tour ne pouvait s'empecher de comparer
Germain aux choses qui l'entouraient, et elle trouvait que les cheveux de
Germain etaient plus blonds que les epis dores, et elle trouvait que les
yeux de Germain etaient d'un plus bel azur que le bleu du ciel... Puis
vinrent les veillees; le vieillard s'asseyait sous la grande cheminee et
rappelait a ses contemporains les choses de son temps, et tous riaient a
ces doux souvenirs. Mais Germain et Elisabeth ne riaient pas; ils se
regardaient, tout en feignant d'ecouter; puis, quand l'histoire avait ete
reprise, abandonnee et reprise une derniere fois, quand le narrateur
s'endormait a la suite de son auditoire, le fils du riche fermier et la
pauvre servante s'echappaient sans bruit... Puis vinrent les beaux jours,
et l'on dansa sous les grands marronniers du village; mais Elisabeth ne s'y
montra pas; les cris de joie l'attristaient...
Et la sans doute finissaient les souvenirs heureux, pour faire place a des
pense
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