y aller pour lui tenir compagnie, lorsque le pauvre garcon
s'est avance a ma rencontre avec une mine a faire trembler. Une bosse
affreuse lui cachait la moitie d'un oeil.
--Il est tombe? demanda-t-on.
--Non; mais il s'est battu.
--Avec qui?
--Avec un esprit qui a le poing solide, allez!... Il parait qu'il
s'eclairait (l'esprit bien entendu) avec une petite lanterne sourde. Il
prenait toutes ses aises, afin de mieux briser ma statue. Alors Kerlaz, qui
est un rude compere et qui n'a pas peur, s'est approche de lui tout
doucement. Mais au moment ou il allongeait la main pour l'empoigner, il a
recu un terrible coup en plein visage. Lorsqu'il a rouvert les yeux:
bonsoir! l'esprit etait parti... Il ne restait plus que la bosse. Comme je
ne tiens pas a etre defigure, j'ai pris la ferme resolution de ne pas
monter la garde dans l'eglise.
--Je vous eviterai cette peine, dit Francois qui s'etait approche du groupe
des parleurs. Je veillerai moi-meme, cette nuit, a la surete de l'eglise.
J'entends que desormais il ne soit plus question de toutes ces histoires
ridicules. Suivez-moi, ajouta-t-il en s'adressant au sculpteur. J'ai besoin
de vous.
Francois s'avanca a grands pas vers la maison qu'il occupait a l'extremite
du chantier. Il pria le sculpteur de patienter quelques instants; puis il
s'approcha d'une table et se mit a ecrire, sous la dictee de son coeur. Il
ferma sa lettre et la donna a l'ouvrier, qui attendait ses ordres sur le
seuil de la porte.
--Morbrun, lui dit-il d'une voix emue, vous connaissez la maison de Pierre
Vardouin. Courez a Bretteville, et tachez de remettre ce billet entre les
mains de Marie.
--Mais vous n'ignorez pas que le maitre de l'oeuvre ne permet a personne
d'approcher de sa maison, encore moins de sa fille?
--Je m'en rapporte a votre esprit inventif. Rappelez-vous seulement que ce
billet doit passer de vos mains dans celles de Marie. Soyez prudent.
Francois s'assit sur un banc place devant la maison et regarda s'eloigner
Morbrun, qui courait sur la route de Bretteville avec la rapidite d'un
lievre poursuivi par une meute.
Ce n'etait pas un garcon a sentiments bien vifs. La tete jouait un plus
grand role que le coeur dans son affection pour Francois. Homme d'esprit
lui-meme, il se faisait un honneur d'obeir aux volontes d'un maitre
intelligent. Bref c'etait un de ces caracteres portes naturellement au
bien, et chez lesquels la soumission au devoir est un instinct plutot
qu'une
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