ent son diner; mais, vienne un jour d'affliction, l'animal
delaisse devient un bon serviteur; on s'apercoit alors, mais alors
seulement, qu'il lit votre douleur dans vos yeux, qu'il a ses jappements de
joie ou de tristesse, comme vous avez vos cris d'allegresse ou de
desespoir; on aime sa taciturnite et ses airs melancoliques; on le
rapproche de soi, on lui donne les morceaux les plus delicats de sa table,
on le caresse affectueusement; on lui parle meme de ses maux, comme s'il
pouvait vous comprendre. Ces vers:
"O mon chien! Dieu sait seul la distance entre nous;
Seul, il sait quel degre de l'echelle de l'etre
Separe ton instinct de l'ame de ton maitre!..."
ces mots charmants, Jocelyn ne les aurait pas dits s'il n'eut pas ete
malheureux. Elisabeth obeissait donc a cette loi mysterieuse de notre etre,
qui nous fait trouver, aux temps de persecution, un veritable plaisir dans
la societe des animaux. Tous les jours elle allait traire ses vaches, et
l'idee ne lui etait pas encore venue que ces pauvres betes lui etaient
reconnaissantes des soins qu'elle leur donnait. Maintenant, il lui semblait
qu'elles la regardaient avec affection; elle passait la main sur leur
museau humide, elle leur parlait comme a de vieilles amies dont elle aurait
meconnu jusque-la les bons sentiments.
--Pauvres betes! disait-elle; vous, du moins, vous ne faites de mal a
personne.
Et le lait jaillissait et tombait dans les grandes cannes de cuivre qui
reluisaient au soleil, tandis que les bons animaux se battaient les flancs
de leur queue pour en chasser les mouches. Lorsque sa besogne fut achevee,
lorsqu'elle voulut remettre les cannes dans les hottes de bois que l'ane
portait sur son dos, Elisabeth s'apercut que Jacquot etait alle brouter les
jeunes pousses de la haie qui entourait l'herbage. Elle eut beau appeler,
crier, Jacquot fit la sourde oreille. Alors elle courut du cote de l'animal
indocile. Mais bientot ses forces la trahirent; car le terrain allait en
montant, la chaleur augmentait de minute en minute, et elle sentait de
grosses gouttes de sueur qui roulaient le long de ses joues. Elle s'assit
sur l'herbe pour reprendre haleine. Mais il se fit en elle une si grande
lassitude qu'elle se coucha sur le cote, son bras gauche replie sous sa
tete. Une brise chaude courait dans les herbes, apres avoir passe dans les
grands arbres, dont les feuilles bruissaient comme de petites vagues qui
viennent mourir au rivage; un doux bourdonn
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