a premiere fois l'immobilite de sa fille et de son
apprenti. Courez tous les deux chercher du vin, du meilleur et du plus
vieux! Courez vite et mettez, s'il le faut, la maison au pillage. Je veux
feter dignement le retour de ce cher Henry!
Les jeunes gens ne se le firent pas repeter. Ils descendirent quatre a
quatre les marches de l'escalier et entrerent dans le caveau. Quand ils en
sortirent, ils s'arreterent un instant pour reprendre haleine.
--Quelle heureuse rencontre nous avons faite la! dit Francois en retenant a
grand'peine contre sa poitrine plusieurs bouteilles de gres.
Marie portait a la main une lampe a trois becs, qu'elle venait d'allumer.
--Mon pere est d'une humeur charmante, dit-elle. C'est l'occasion de lui
parler de votre avenir.
--Laissons agir mon nouveau protecteur. Oh! l'excellent homme! Vous ne
sauriez imaginer, Marie, toutes les promesses qu'il m'a faites, toutes les
consolations qu'il a donnees a ma mere. N'en doutez pas, il decidera mon
patron a me tirer enfin de mon obscurite. Son plan est deja fait. Il m'a
recommande seulement de ne pas le contredire.
--Espoir et prudence! dit Marie en ouvrant la porte de la chambre.
--Enfin! voila de la lumiere! s'ecria Pierre Vardouin. Le jour commence a
tomber, et je ne pouvais distinguer les traits de mon vieil ami.
--Ah! dame! fit Henry Montredon en souriant, je ne suis plus le robuste
apprenti que tu as connu autrefois!... Nous n'avons pas perdu nos cheveux;
mais ils sont devenus blancs.
--Bah! interrompit Pierre Vardouin, ce n'est pas encore l'hiver: il neige
quelquefois en automne... La femme que tu choisirais ne serait pas si a
plaindre! Car tu n'es pas marie, je suppose? ajouta-t-il en promenant un
regard inquiet de sa fille a son ami.
--Flatteur! Si je voulais savoir la verite, je n'aurais qu'a m'adresser a
Marie...
--Nous oublions le souper, s'ecria Pierre Vardouin, qui avait ses raisons
pour ne pas continuer ce genre de conversation.
On se mit a table. Les deux maitres de l'oeuvre s'assirent en face de
l'eglise. Pierre Vardouin ne se lassait pas de la montrer a son ami, tandis
que Marie et Francois, places l'un a cote de l'autre sur le bahut, se
parlaient a voix basse. Cependant le maitre de la maison n'oubliait pas ses
convives. Les coupes s'entrechoquaient avec un bruit agreable, au milieu
des voeux qu'on formait pour l'avenir. Les visages etaient colores d'une
charmante animation. Les bons mots, les reparties, volant de
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