presque sans pattes, avec
un corps de crocodile, une tete de renard et une queue en trompette, un
vrai panache, grand comme tout le reste de sa personne. Un client
cherchait a s'en defaire. Mme Lefevre trouva fort beau ce roquet
immonde, qui ne coutait rien. Rose l'embrassa, puis demanda comment on
le nommait. Le boulanger repondit: "Pierrot."
Il fut installe dans une vieille caisse a savon et on lui offrit d'abord
de l'eau a boire. Il but. On lui presenta ensuite un morceau de pain. Il
mangea. Mme Lefevre, inquiete, eut une idee: "Quand il sera bien
accoutume a la maison, on le laissera libre. Il trouvera a manger en
rodant par le pays."
On le laissa libre, en effet, ce qui ne l'empecha point d'etre affame.
Il ne jappait d'ailleurs que pour reclamer sa pitance; mais, dans ce
cas, il jappait avec acharnement.
Tout le monde pouvait entrer dans le jardin. Pierrot allait caresser
chaque nouveau venu, et demeurait absolument muet.
Mme Lefevre cependant s'etait accoutumee a cette bete. Elle en arrivait
meme a l'aimer, et a lui donner de sa main, de temps en temps, des
bouchees de pain trempees dans la sauce de son fricot.
Mais elle n'avait nullement songe a l'impot, et quand on lui reclama
huit francs,--huit francs, madame!--pour ce freluquet de _quin_ qui ne
jappait seulement point, elle faillit s'evanouir de saisissement.
Il fut immediatement decide qu'on se debarrasserait de Pierrot. Personne
n'en voulut. Tous les habitants le refuserent a dix lieues aux environs.
Alors on se resolut, faute d'autre moyen, a lui faire "piquer du mas".
"Piquer du mas", c'est "manger de la marne". On fait piquer du mas a
tous les chiens dont on veut se debarrasser.
Au milieu d'une vaste plaine, on apercoit une espece de hutte, ou plutot
un tout petit toit de chaume, pose sur le sol. C'est l'entree de la
marniere. Un grand puits tout droit s'enfonce jusqu'a vingt metres sous
terre, pour aboutir a une serie de longues galeries de mines.
On descend une fois par an dans cette carriere, a l'epoque ou l'on marne
les terres. Tout le reste du temps, elle sert de cimetiere aux chiens
condamnes; et souvent, quand on passe aupres de l'orifice, des
hurlements plaintifs, des aboiements furieux ou desesperes, des appels
lamentables montent jusqu'a vous.
Les chiens des chasseurs et des bergers s'enfuient avec epouvante des
abords de ce trou gemissant; et, quand on se penche au-dessus, il sort
de la une abominable odeur de pourriture.
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