ne revit plus la folle. Qu'en avaient-ils fait? Ou l'avaient-ils
portee! On ne le sut jamais.
* * * * *
La neige tombait maintenant jour et nuit, ensevelissant la plaine et les
bois sous un linceul de mousse glacee. Les loups venaient hurler
jusqu'a nos portes.
La pensee de cette femme perdue me hantait; et je fis plusieurs
demarches aupres de l'autorite prussienne, afin d'obtenir des
renseignements. Je faillis etre fusille.
Le printemps revint. L'armee d'occupation s'eloigna. La maison de ma
voisine restait fermee; l'herbe drue poussait dans les allees.
La vieille bonne etait morte pendant l'hiver. Personne ne s'occupait
plus de cette aventure; moi seul y songeais sans cesse.
Qu'avaient-ils fait de cette femme? s'etait-elle enfuie a travers les
bois! L'avait-on recueillie quelque part, et gardee dans un hopital sans
pouvoir obtenir d'elle aucun renseignement. Rien ne venait alleger mes
doutes; mais, peu a peu, le temps apaisa le souci de mon coeur.
Or, a l'automne suivant, les becasses passerent en masse; et, comme ma
goutte me laissait un peu de repit, je me trainai jusqu'a la foret.
J'avais deja tue quatre ou cinq oiseaux a long bec, quand j'en abattis
un qui disparut dans un fosse plein de branches. Je fus oblige d'y
descendre pour y ramasser ma bete. Je la trouvai tombee aupres d'une
tete de mort. Et brusquement le souvenir de la folle m'arriva dans la
poitrine comme un coup de poing. Bien d'autres avaient expire dans ces
bois peut-etre en cette annee sinistre; mais je ne sais pourquoi,
j'etais sur, sur, vous dis-je, que je rencontrais la tete de cette
miserable maniaque.
Et soudain je compris, je devinai tout. Ils l'avaient abandonnee sur ce
matelas, dans la foret froide et deserte; et, fidele a son idee fixe,
elle s'etait laissee mourir sous l'epais et leger duvet des neiges et
sans remuer le bras ou la jambe.
Puis les loups l'avaient devoree.
Et les oiseaux avaient fait leur nid avec la laine de son lit dechire.
J'ai garde ce triste ossement. Et je fais des voeux pour que nos fils ne
voient plus jamais de guerre.
PIERROT
_A Henry Roujon._
Mme Lefevre etait une dame de campagne, une veuve, une de ces
demi-paysannes a rubans et a chapeaux falbalas, de ces personnes qui
parlent avec des cuirs, prennent en public des airs grandioses, et
cachent une ame de brute pretentieuse sous des dehors comiques et
chamarres, comme elles dissimulent leu
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