."
--"Ah!"--Et je me sentis devenir pale.
Elle semblait parfaitement a son aise, et souriait en me regardant.
Des qu'elle m'eut laisse seul avec son mari, il me prit les mains, les
serrant a les broyer: "Voici longtemps, cher monsieur, que je veux aller
vous voir. Ma femme m'a tant parle de vous. Je sais..... oui, je sais en
quelle circonstance douloureuse vous l'avez connue, je sais aussi comme
vous avez ete parfait, plein de delicatesse, de tact, de devouement dans
l'affaire....." Il hesita, puis prononca plus bas, comme s'il eut
articule un mot grossier ".....Dans l'affaire de ce cochon de Morin."
LA FOLLE
_A Robert de Bannieres._
Tenez, dit M. Mathieu d'Endolin, les becasses me rappellent une bien
sinistre anecdote de la guerre.
Vous connaissez ma propriete dans le faubourg de Cormeil. Je l'habitais
au moment de l'arrivee des Prussiens.
J'avais alors pour voisine une espece de folle, dont l'esprit s'etait
egare sous les coups du malheur. Jadis, a l'age de vingt-cinq ans, elle
avait perdu, en un seul mois, son pere, son mari et son enfant
nouveau-ne.
Quand la mort est entree une fois dans une maison, elle y revient
presque toujours immediatement, comme si elle connaissait la porte.
La pauvre jeune femme, foudroyee par le chagrin, prit le lit, delira
pendant six semaines. Puis, une sorte de lassitude calme succedant a
cette crise violente, elle resta sans mouvement, mangeant a peine,
remuant seulement les yeux. Chaque fois qu'on voulait la faire lever,
elle criait comme si on l'eut tuee. On la laissa donc toujours couchee,
ne la tirant de ses draps que pour les soins de sa toilette et pour
retourner ses matelas.
Une vieille bonne restait pres d'elle, la faisant boire de temps en
temps ou macher un peu de viande froide. Que se passait-il dans cette
ame desesperee? On ne le sut jamais; car elle ne parla plus.
Songeait-elle aux morts? Revassait-elle tristement, sans souvenir
precis? Ou bien sa pensee aneantie restait-elle immobile comme de l'eau
sans courant?
Pendant quinze annees, elle demeura ainsi fermee et inerte.
La guerre vint; et, dans les premiers jours de decembre, les Prussiens
penetrerent a Cormeil.
Je me rappelle cela comme d'hier. Il gelait a fendre les pierres; et
j'etais etendu moi-meme dans un fauteuil, immobilise par la goutte,
quand j'entendis le battement lourd et rythme de leurs pas. De ma
fenetre, je les vis passer.
Ils defilaient interminablement, tou
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