e prends... je prends..." Mais elle me glissa entre les
bras, souffla ma lumiere, et disparut.
Je restai seul, furieux, dans l'obscurite, cherchant des allumettes,
n'en trouvant pas. J'en decouvris enfin et je sortis dans le corridor, a
moitie fou, mon bougeoir a la main.
Qu'allais-je faire? Je ne raisonnais plus; je voulais la trouver; je la
voulais. Et je fis quelques pas sans reflechir a rien. Puis, je pensai
brusquement: "Mais si j'entre chez l'oncle? que dirais-je?... Et je
demeurai immobile, le cerveau vide, le coeur battant. Au bout de
plusieurs secondes, la reponse me vint: "Parbleu je dirai que je
cherchais la chambre de Rivet pour lui parler d'une chose urgente."
Et je me mis a inspecter les portes m'efforcant de decouvrir la sienne,
a elle. Mais rien ne pouvait me guider. Au hasard je pris une clef que
je tournai. J'ouvris, j'entrai... Henriette assise dans son lit,
effaree, me regardait.
Alors je poussai doucement le verrou; et, m'approchant sur la pointe des
pieds, je lui dis: "J'ai oublie, mademoiselle, de vous demander quelque
chose a lire." Elle se debattait; mais j'ouvris bientot le livre que je
cherchais. Je n'en dirai pas le titre. C'etait vraiment le plus
merveilleux des romans, et le plus divin des poemes.
Une fois tournee la premiere page, elle me le laissa parcourir a mon
gre; et j'en feuilletai tant de chapitres que nos bougies s'userent
jusqu'au bout.
Puis, apres l'avoir remerciee, je regagnais, a pas de loup, ma chambre,
quand une main brutale m'arreta; et une voix, celle de Rivet, me
chuchota dans le nez: "Tu n'as donc pas fini d'arranger l'affaire de ce
cochon de Morin?"
Des sept heures du matin elle m'apportait elle-meme une tasse de
chocolat. Je n'en ai jamais bu de pareil. Un chocolat a s'en faire
mourir, moelleux, veloute, parfume, grisant. Je ne pouvais oter ma
bouche des bords delicieux de sa tasse.
A peine la jeune fille etait-elle sortie que Rivet entra. Il semblait un
peu nerveux, agace comme un homme qui n'a guere dormi, il me dit d'un
ton maussade: "Si tu continues, tu sais, tu finiras par gater l'affaire
de ce cochon de Morin."
A huit heures, la tante arrivait. La discussion fut courte. Les braves
gens retiraient leur plainte, et je laisserais cinq cents francs aux
pauvres du pays.
Alors on voulut nous retenir a passer la journee. On organiserait meme
une excursion pour aller visiter des ruines. Henriette derriere le dos
de ses parents me faisait des signes
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