s eu que de l'horreur pour, ces
gens-la. Oh! c'est que je me suis recommandee a Dieu des l'age ou ma
beaute m'a mise en danger, et qu'il m'a toujours preservee; Mais sachez
que tous les musulmans sont voues au diable, et qu'ils possedent tous
des amulettes ou des philtres au moyen desquels beaucoup de chretiennes
renient le vrai Dieu pour se jeter dans leurs bras. Soyez sur de ce que
je vous dis.
--N'est-ce pas une chose inouie, un de ces malheurs qui ne peuvent
arriver qu'a moi? dit M. Spada. Une fille si belle et si honnete!
--Sans doute, sans doute, reprit la princesse; il y a de quoi s'etonner
et s'affliger. Mais, je vous le demande, comment a pu s'operer un pareil
sortilege?
--Voila ce qu'il m'est impossible de savoir. Seulement, s'il y a un
charme jete sur ma fille, je crois pouvoir en accuser un infame serpent,
appele Timothee, Grec esclavon, qui est au service de ce Turc, et qui
vient souvent avec lui dans ma maison pour servir d'interprete entre
lui et moi; car ces mahometans ont une tete de fer, et depuis cinq ans
qu'Abul vient a Venise, il ne parle pas plus chretien que le premier
jour. Ce n'est donc pas par les oreilles qu'il a seduit ma fille; car il
s'assied dans un coin et ne dit mot non plus qu'une pierre. Ce n'est pas
par les yeux; car il ne fait pas plus attention a elle que s'il ne l'eut
pas encore apercue. Il faut donc en effet, comme Votre Excellence
le remarque et comme je l'avais deja pense, qu'il y ait une cause
surnaturelle a cet amour-la; car de tous les hommes dont Mattea est
entouree, ce damne est le dernier auquel une fille sage et prudente
comme elle aurait du songer. On dit que c'est un bel homme; quant a moi,
il me semble fort laid avec ses grands yeux de chouette et sa longue
barbe noire.
--Mon cher monsieur, interrompit la princesse, il y a du sortilege
la-dedans. Avez-vous surpris quelque intelligence entre votre fille et
ce Grec Timothee?
--Certainement. Il est si bavard qu'il parle meme avec _Tisbe_, la
chienne de ma femme, et il adresse, tres-souvent la parole a ma fille
pour lui dire des riens, des aneries qui la feraient bailler dites par
un autre, mais qu'elle accueille fort bien de la part de Timothee; c'est
au point que nous avons cru d'abord qu'elle etait amoureuse du Grec, et
comme c'est un homme de rien, nous en etions faches. Helas! ce qui lui
arrive est bien pis!
--Et comment savez-vous que c'est du Turc et non pas du Grec que votre
fille est amoureuse?
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