t quand il etait en train
de fumer un certain tabac. Voulant voir jusqu'ou irait la cupidite
miserable du Venitien, il le fit consentir a descendre sur la rive
droite de la Zueca, et a s'asseoir avec sa fille et le musulman sous la
tente d'un cafe. La, il commenca un dialogue fort divertissant pour tout
spectateur qui eut compris les deux langues qu'il parla tour a tour; car
tandis qu'il s'adressait a Zacomo pour etablir avec lui les conditions
du traite, il se tournait vers son maitre et lui disait: "M. Spada me
parle de la bonte que vous avez eue jusqu'ici de ne jamais user de vos
billets a ordre, et d'avoir bien voulu attendre sa commodite; il dit
qu'on ne peut avoir affaire a un plus digne negociant que vous.
--Dis-lui, repondait Abul, que je lui souhaite toutes sortes de
prosperites, qu'il ne trouve jamais sur sa route une maison sans
hospitalite, et que le mauvais oeil ne s'arrete point sur lui dans son
sommeil.
--Que dit-il? demandait Spada avec empressement.
--Il dit que cela presente d'enormes difficultes, repondait Timothee.
Nos muriers ont tant souffert des insectes l'annee derniere, que nous
avons un tiers de perte sur nos taffetas pour nous etre associes a des
negociants de Corfou qui ont eu part egale a nos benefices sans avoir
part egale aux frais."
Cette bizarre conversation se prolongeait; Abul n'accordait aucune
attention a Mattea, et Spada commencait a desesperer de l'effet des
charmes de sa fille. Timothee, pour compliquer l'imbroglio dont il etait
le poete et l'acteur, proposa de s'eloigner un instant avec Spada pour
lui faire en secret une observation importante. Spada, se flattant a la
fin d'etre arrive au fait, le suivit sur la rive hors de la portee de la
voix, mais sans perdre Mattea de vue. Celle-ci resta donc avec son Turc
dans une sorte de tete-a-tete.
Cette derniere demarche parut a Mattea une triste confirmation de tout
ce qu'elle soupconnait. Elle crut que son pere flattait son penchant
d'une maniere perfide, et l'engageait a entrer dans ses vues de
seduction pour arriver plus surement a duper le musulman. Extreme
dans ses jugements comme le sont les jeunes tetes, elle ne pensa pas
seulement que son pere voulait retarder ses paiements, mais encore qu'il
voulait manquer de parole et donner les oeillades et la reputation de
sa fille en echange des marchandises turques qu'il avait recues. Cette
maniere d'agir des Venitiens envers les Turcs etait si peu rare, et ser
Zacomo lui-meme
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