st tres-difficile de croire que son coeur jouat un
role reel dans ce roman de grande passion. Neanmoins, comme ce coeur
etait noble, la mortification de l'orgueil blesse y produisit de la
douleur et de la honte sans aucun melange d'ingratitude ou de depit;
elle ne cessa pas de parler d'Abul avec veneration et de penser a lui
avec une sorte d'enthousiasme.
Timothee devint, en moins d'une semaine, le sigisbe en titre de
Veneranda. Rien n'etait plus agreable pour elle que de trouver, a son
age, un tout jeune et assez joli garcon, plein d'esprit, et jouant
merveilleusement de la guitare, qui voulut bien porter son eventail,
ramasser son bouquet, lui dire des impertinences et lui ecrire des
bouts-rimes. Il avait soin de ne jamais venir a Torcello qu'apres s'etre
bien assure que M. et madame Spada etaient occupes en ville et ne
viendraient pas le surprendre aux pieds de sa princesse, qui ne le
connaissait que sous le nom du prince Zacharias Kalasi.
Durant les longues soirees, le sans-gene de la campagne permettait a
Timothee d'entretenir Mattea, d'autant plus qu'il venait souvent des
visites, et que dame Gica, par soin de sa reputation, prescrivait a son
cavalier servant de l'attendre au jardin tandis qu'elle serait au salon;
et pendant ce temps, comme elle ne craignait rien au monde plus que de
le perdre, elle recommandait a sa filleule de lui tenir compagnie, sure
que ses charmes de quatorze ans ne pouvaient entrer en lutte avec les
siens. Le jeune Grec en profita, non pour parler de ses pretentions, il
s'en garda bien, mais pour l'eclairer sur le veritable caractere d'Abul,
qui n'etait rien moins qu'un galant paladin, et qui, malgre sa douceur
et sa bonte naturelles, faisait jeter une femme adultere dans un puits,
ni plus ni moins que si c'eut ete un chat. Il lui peignit en meme
temps les moeurs des Turcs, l'interieur des harems, l'impossibilite
d'enfreindre leurs lois qui faisaient de la femme une marchandise
appartenant a l'homme, et jamais une compagne ou une amie. Il lui porta
le dernier coup en lui apprenant qu'Abul, outre vingt femmes dans son
harem, avait une femme legitime dont les enfants etaient eleves avec
plus de soin que ceux des autres, et qu'il aimait autant qu'un Turc peut
aimer une femme, c'est-a-dire un peu plus que sa pipe et un peu moins
que son cheval. Il engagea beaucoup Mattea a ne pas se placer sous la
domination de cette femme, qui, dans un acces de jalousie, pourrait bien
la faire etrangler par
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