enez-moi au courant de
cette affaire. Je m'y interesse beaucoup."
En parlant ainsi, la princesse, qui etait arrivee a son palais, fit
un salut gracieux a son protege, et s'elanca, soutenue de ses deux
gondoliers, sur les marches du peristyle. Ser Zacomo, assez frappe de la
profondeur de ses idees et un peu soulage de son chagrin, remercia les
gondoliers, car le temps etait deja redevenu serein, et reprit a pied,
par les rues etroites et anguleuses de l'interieur, le chemin de sa
boutique, situee sous les vieilles Procuraties.
III.
Enfermee dans sa chambre, seule et pensive, la belle Mattea se promenait
en silence, les bras croises sur sa poitrine, dans une attitude de
mutine resolution, et la paupiere humide d'une larme que la fierte ne
voulait point laisser tomber. Elle n'etait pourtant vue de personne;
mais sans doute elle sentait, comme il arrive souvent aux enfants et aux
femmes, que son courage tenait a un fil, et que la premiere larme qui
s'ouvrirait un passage a travers ses longs cils noirs entrainerait un
deluge difficile a reprimer. Elle se contenait donc et se donnait en
passant et en repassant devant sa glace des airs degages, affectant une
demarche altiere et s'eventant d'un large eventail de la Chine a la mode
de ce temps-la.
Mattea, ainsi qu'on a pu le voir par la conversation de son pere avec
la princesse, etait une fort belle creature, ages de quatorze ans
seulement, mais deja tres-developpee et tres-convoitee par tous les
galants de Venise. Ser Zacomo ne la vantait point au dela de ses merites
en declarant que c'etait un veritable tresor, une fille sage, reservee,
laborieuse, intelligente, etc., etc. Mattea possedait toutes ces
qualites et d'autres encore que son pere etait incapable d'apprecier,
mais qui, dans la situation ou le sort l'avait fait naitre, devaient
etre pour elle une source de maux tres-grands. Elle etait douee d'une
imagination vive, facile a exalter, d'un coeur fier et genereux et d'une
grande force de caractere. Si ces facultes eussent ete bien dirigees
dans leur essor, Mattea eut ete la plus heureuse enfant du monde et
M. Spada le plus heureux des peres; mais madame Loredana, avec son
caractere violent, son humeur acre et querelleuse, son opiniatrete qui
allait jusqu'a la tyrannie, avait sinon gate, du moins irrite cette
belle ame au point de la rendre orgueilleuse, obstinee, et meme un peu
farouche. Il y avait bien en elle un certain reflet du caractere absolu
de sa m
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