les fonctions de garcon de cafe,
de glacier, de colporteur, de trafiquant de fourrures, de commis,
d'aubergiste, d'empirique et de regisseur, toujours a la suite ou dans
les interets de quelque musulman; car les Grecs de cette epoque, en
quelque lieu qu'ils fussent, ne pouvaient s'affranchir de la domination
turque, sous peine d'etre condamnes a mort en remettant le pied sur le
sol de leur patrie, et Timothee ne voulait point se fermer l'acces d'une
contree dont il connaissait parfaitement tous les genres d'exploitation
commerciale. Il avait ete charge d'affaires de plusieurs trafiquants
qui l'avaient envoye en Allemagne, en France, en Egypte, en Perse, en
Sicile, en Moscovie et en Italie surtout, Venise etant alors l'entrepot
le plus considerable du commerce avec l'Orient. Dans ces divers voyages,
Timothee avait appris incroyablement vite a parler, sinon correctement,
du moins facilement, les diverses langues des peuples qu'il avait
visites. Le dialecte venitien etait un de ceux qu'il possedait le mieux,
et le teinturier Abul-Amet, negociant considerable, dont les ateliers
etaient a Corfou l'avait pris depuis peu pour inspecteur de ses
ouvriers, teneur de livres, truchement, etc. Il avait en lui une extreme
confiance, et goutait un plaisir silencieux a ecouter, sans la moindre
marque d'intelligence ou d'approbation, ses joyeuses saillies et son
babil spirituel.
Il faut dire en passant que les Turcs etaient et sont encore les hommes
les plus probes de la terre. De la une grande simplicite de jugement et
une admirable imprudence dans les affaires. Ennemis des ecritures, ils
ignorent l'usage des contrats et des mille preuves de sceleratesse
qui ressortent des lois de l'Occident. Leur parole vaut mieux que
signatures, timbres et temoins. Elle est recue dans le commerce, meme
par les nations etrangeres, comme une garantie suffisante; et a l'epoque
ou vivaient Abul-Amet, Timothee et M. Spada, il n'y avait point encore
eu a la Bourse de Venise un seul exemple de faillite de la part d'un
Turc. On en compte deux aujourd'hui. Les Turcs se sont vus obliges de
marcher avec leur siecle et de rendre cet hommage au regne des lumieres.
Quoique mille fois trompes par les Grecs et par les Venitiens,
populations egalement avides, retortes et rompues a l'escroquerie, avec
cette difference que les riverains orientaux de l'Adriatique ont servi
d'exemples et de maitres a ceux de l'Occident, les Turcs sont exposes
et comme forces chaque jo
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