defendu, c'etait de devorer les livres des yeux; aussi en
savait-elle tous les titres par coeur; elle parcourait successivement
tous les rayons, et, pour atteindre les plus eleves, plantait une chaise
sur la table; les yeux fermes, elle eut mis la main sur le volume qu'on
lui aurait demande. Elle affectionnait les auteurs par les titres de
leurs ouvrages, et, de cette facon, elle a eu de terribles mecomptes.
Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
Dans cette salle etait une petite table pres d'une grande croisee qui
dominait une cour assez sombre. L'exclamation d'un ami de sa mere fit
apercevoir Emmeline de la tristesse de sa chambre; elle n'avait jamais
ressenti l'influence des objets exterieurs sur son humeur. Les gens qui
attachent de l'importance a ce qui compose le bien-etre materiel etaient
classes par elle dans une categorie de maniaques. Toujours nu-tete, les
cheveux en desordre, narguant le vent, le soleil, jamais plus contente
que lorsqu'elle rentrait mouillee par la pluie, elle se livrait, a la
campagne, a tous les exercices violents, comme si la eut ete toute sa
vie. Sept ou huit lieues a cheval, au galop, etaient un jeu pour elle; a
pied, elle defiait tout le monde; elle courait, grimpait aux arbres, et
si on ne marchait pas sur les parapets plutot que sur les quais, si on ne
descendait pas les escaliers sur leurs rampes, elle pensait que c'etait
par respect humain. Par-dessus tout elle aimait, chez sa mere, a
s'echapper seule, a regarder dans la campagne et ne voir personne. Ce
gout d'enfant pour la solitude, et le plaisir qu'elle prenait a sortir
par des temps affreux, tenaient, disait-elle, a ce qu'elle etait sure
qu'alors on ne viendrait pas _la chercher en se promenant_. Toujours
entrainee par cette bizarre idee, a ses risques et perils, elle se
mettait dans un bateau en pleine eau, et sortait ainsi du parc, que la
riviere traversait, sans se demander ou elle aborderait. Comment lui
laissait-on courir tant de dangers? Je ne me chargerai pas de vous
l'expliquer.
Au milieu de ces folies, Emmeline etait railleuse; elle avait un oncle
tout rond, avec un rire bete, excellent homme. Elle lui avait persuade
que de figure et d'esprit elle etait tout son portrait, et cela avec des
raisons a faire rire un mort. De la le digne oncle avait concu pour sa
niece une tendresse sans bornes. Elle jouait avec lui comme avec un
enfant, lui sautait au cou quand il arrivait, lui grimpait sur les
epaules; et jusqu'a quel
|