age? c'est ce que je ne vous dirai pas non plus.
Le plus grand amusement de la petite espiegle etait de faire faire a ce
personnage, assez grave du reste, des lectures a haute voix: c'etait
difficile, attendu qu'il trouvait que les livres n'avaient aucun sens, et
cela s'expliquait par sa facon de ponctuer; il respirait au milieu des
phrases, n'ayant pour guide que la mesure de son souffle. Vous jugez quel
galimatias, et l'enfant de rire a se pamer. Je suis oblige d'ajouter
qu'au theatre elle en faisait autant pendant les tragedies, mais qu'elle
trouvait quelquefois moyen d'etre emue aux comedies les plus gaies.
Pardonnez, madame, ces details puerils, qui, apres tout, ne peignent
qu'un enfant gate. Il faut que vous compreniez qu'un pareil caractere
devait plus tard agir a sa facon, et non a celle de tout le monde.
A seize ans, l'oncle en question, allant en Suisse, emmena Emmeline. A
l'aspect des montagnes, on crut qu'elle perdait la raison, tant ses
transports de joie parurent vifs. Elle criait, s'elancait de la caleche;
il fallait qu'elle allat plonger son petit visage dans les sources qui
s'echappaient des roches. Elle voulait gravir des pics, ou descendre
jusqu'aux torrents dans les precipices; elle ramassait des pierres,
arrachait la mousse. Entree un jour dans un chalet, elle n'en voulait
plus sortir; il fallut presque l'enlever de force, et lorsqu'elle fut
remontee en voiture, elle cria en pleurant aux paysans: Ah! mes amis,
vous me laissez partir!
Nulle trace de coquetterie n'avait encore paru en elle lorsqu'elle entra
dans le monde. Est-ce un mal de se trouver lancee dans la vie sans grande
maxime en portefeuille? Je ne sais. D'autre part, n'arrive-t-il pas
souvent de tomber dans un danger en voulant l'eviter? Temoin ces pauvres
personnes auxquelles on a fait de si terribles peintures de l'amour,
qu'elles entrent dans un salon les cordes du coeur tendues par la
crainte, et qu'au plus leger soupir elles resonnent comme des harpes.
Quant a l'amour, Emmeline etait encore fort ignorante sur ce sujet. Elle
avait lu quelques romans ou elle avait choisi une collection de ce
qu'elle nommait des niaiseries sentimentales, chapitre qu'elle traitait
volontiers d'une facon divertissante. Elle s'etait promis de vivre
uniquement en spectateur. Sans nul souci de sa tournure, de sa figure,
ni de son esprit, devait-elle aller au bal, elle posait sur sa tete une
fleur, sans s'inquieter de l'effet de sa coiffure, endossait une
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