a souper, il tendait son verre en riant, et
buvait une copieuse rasade; puis il fouillait dans sa poche, voyait
qu'il avait oublie sa clef, qu'il reveillerait sa mere en rentrant; il
s'esquivait et revenait respirer ses roses bien-aimees.
Tel etait ce garcon, simple et ecervele, timide et fier, tendre et
audacieux. La nature l'avait fait riche, et le hasard l'avait fait pauvre;
au lieu de choisir, il prit les deux partis. Tout ce qu'il y avait en lui
de patience, de reflexion et de resignation ne pouvait triompher de
l'amour du plaisir, et ses plus grands moments de deraison ne pouvaient
entamer son coeur. Il ne lutta ni contre son coeur, ni contre le plaisir
qui l'attirait. Ce fut ainsi qu'il devint double, et qu'il vecut en
perpetuelle contradiction avec lui-meme, comme je vous le montrais tout
a l'heure. Mais c'est de la faiblesse, allez-vous dire. Eh! mon Dieu, oui;
ce n'est pas la un Romain, mais nous ne sommes pas ici a Rome [1].
Nous sommes a Paris, madame, et il est question de deux amours.
Heureusement pour vous, le portrait de mes heroines sera plus vite
fait que celui de mon heros. Tournez la page, elles vont entrer en scene.
[Note 1: Ce premier chapitre est rempli de souvenirs d'enfance de
l'auteur.]
II
Je vous ai dit que, de ces deux dames, l'une etait riche et l'autre
pauvre. Vous devinez deja par quelle raison elles plurent toutes deux a
Valentin. Je crois vous avoir dit aussi que l'une etait mariee et l'autre
veuve. La marquise de Parnes (c'est la mariee) etait fille et femme de
marquis. Ce qui vaut mieux, elle etait fort riche; ce qui vaut mieux
encore, elle etait fort libre, son mari etant en Hollande pour affaires.
Elle n'avait pas vingt-cinq ans, elle se trouvait reine d'un petit royaume
au fond de la Chaussee-d'Antin. Ce royaume consistait en un petit hotel,
bati avec un gout parfait entre une grande cour et un beau jardin.
C'etait la derniere folie du defunt beau-pere, grand seigneur un peu
libertin, et la maison, a dire vrai, se ressentait des gouts de son ancien
maitre; elle ressemblait plutot a ce qu'on appelait jadis une maison a
parties qu'a la retraite d'une jeune femme condamnee au repos par
l'absence de l'epoux. Un pavillon rond, separe de l'hotel, occupait le
milieu du jardin. Ce pavillon, qui n'avait qu'un rez-de-chaussee, n'avait
aussi qu'une seule piece, et n'etait qu'un immense boudoir meuble avec un
luxe raffine. Madame de Parnes, qui habitait l'hotel et passait pour
|