e. Tout en ruminant entre ses dents
quelques-unes de ces phrases preparees d'avance qu'on apprend par coeur et
qu'on ne dit jamais, il lui vint l'idee beaucoup plus simple d'ecrire
une declaration en forme, et de la donner a la veuve.
Le voila ecrivant; quatre pages se remplissent. Tout le monde sait combien
le coeur s'emeut durant ces instants ou l'on cede a la tentation de
fixer sur le papier un sentiment peut-etre fugitif: il est doux, il est
dangereux, madame, d'oser dire qu'on aime. La premiere page qu'ecrivit
Valentin etait un peu froide et beaucoup trop lisible. Les virgules s'y
trouvaient a leur place, les alineas bien marques, toutes choses qui
prouvent peu d'amour. La seconde page etait deja moins correcte; les
lignes se pressaient a la troisieme, et la quatrieme, il faut en convenir,
etait pleine de fautes d'orthographe.
Comment vous dire l'etrange pensee qui s'empara de Valentin tandis qu'il
cachetait sa lettre? C'etait pour la veuve qu'il l'avait ecrite, c'etait a
elle qu'il parlait de son amour, de son baiser du matin, de ses craintes
et de ses desirs; au moment d'y mettre l'adresse, il s'apercut, en se
relisant, qu'aucun detail particulier ne se trouvait dans cette lettre, et
il ne put s'empecher de sourire a l'idee de l'envoyer a madame de Parnes.
Peut etre y eut-il, a son insu, un motif cache qui le porta a executer
cette idee bizarre. Il se sentait, au fond du coeur, incapable d'ecrire
une pareille lettre pour la marquise, et son coeur lui disait en meme
temps que, lorsqu'il voudrait, il en pourrait recrire une autre a madame
Delaunay. Il profita donc de l'occasion, et envoya, sans plus tarder, la
declaration faite pour la veuve a l'hotel de la Chaussee-d'Antin.
IV
C'etait chez un ancien notaire, nomme M. des Andelys, qu'avait lieu la
petite reunion ou Valentin devait rencontrer madame Delaunay. Il la
trouva, comme il l'esperait, plus belle et plus coquette que jamais.
Malgre la chaine et les boucles d'oreilles, sa toilette etait presque
simple; un simple noeud de ruban de couleur changeante accompagnait son
joli visage, et un autre de pareille nuance serrait sa taille souple et
mignonne. J'ai dit qu'elle etait fort petite, brune, et qu'elle avait
de grands yeux; elle etait aussi un peu maigre, et differait en cela de
madame de Parnes, dont l'embonpoint montrait les plus belles formes
enveloppees d'un reseau d'albatre. Pour me servir d'une expression
d'atelier, qui rendra ici ma pensee,
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