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sa tante, comme un manuscrit precieux ou il manque nombre de feuillets,
que l'intelligence du lecteur doit remplacer; le monde lui apparut sous
un nouvel aspect; elle vit que, pour faire mouvoir les marionnettes, il
fallait connaitre et saisir les fils. Elle prit dans cette pensee une
indulgence pour les autres qu'elle a toujours conservee; il semble, en
effet, que rien ne la choque, et personne n'est moins severe qu'elle pour
ses amis; cela vient de ce que l'experience l'a forcee a se regarder
comme un etre a part, et qu'en s'amusant innocemment des faiblesses
d'autrui elle a renonce a les imiter.
Ce fut alors que, de retour a Paris, elle devint cette comtesse de Marsan
dont on a tant parle, et qui fut si vite a la mode. Ce n'etait plus la
petite Duval, ni la jeune mariee turbulente et presque toujours decoiffee.
Une seule epreuve et sa volonte l'avaient subitement metamorphosee.
C'etait une femme de tete et de coeur qui ne voulait ni amours ni
conquetes, et qui, avec une sagesse reconnue, trouvait moyen de plaire
partout. Il semblait qu'elle se fut dit: Puisque c'est ainsi que va le
monde, eh bien! nous le prendrons comme il est. Elle avait devine la vie,
et pendant un an, vous vous en souvenez, il n'y eut pas de plaisir sans
elle. On a cru et on a dit, je le sais, qu'un changement si extraordinaire
n'avait pu etre fait que par l'amour, et on a attribue a une passion
nouvelle le nouvel eclat de la comtesse. On juge si vite, et on se trompe
si bien! Ce qui fit le charme d'Emmeline, ce fut son parti pris de
n'attaquer personne, et d'etre elle-meme inattaquable. S'il y a quelqu'un
a qui puisse s'appliquer ce mot charmant d'un de nos poetes: "Je vis par
curiosite [1]" c'est a madame de Marsan; ce mot la resume tout entiere.
[Note 1: Victor Hugo, _Marion Delorme_. (_Note de l'auteur_.)]
M. de Marsan revint; le peu de succes de son voyage ne l'avait pas mis
De bonne humeur. Ses projets etaient renverses. La revolution de juillet
vint par la-dessus, et il perdit ses epaulettes. Fidele au parti qu'il
servait, il ne sortit plus que pour faire de rares visites dans le
faubourg Saint-Germain. Au milieu de ces tristes circonstances, Emmeline
tomba malade; sa sante delicate fut brisee par de longues souffrances, et
elle pensa mourir. Un an apres, on la reconnaissait a peine. Son oncle
l'emmena en Italie, et ce ne fut qu'en 1832 qu'elle revint de Nice avec
le digne homme.
Je vous ai dit qu'il s'etait forme un cercle autou
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