vous,
tout au monde._" En relisant ces mots, elle ne put se resoudre a les
aneantir; c'etait l'adieu du pauvre garcon. Elle coupa cette ligne avec
ses ciseaux, et la porta longtemps sur son coeur. "S'il faut jamais
me separer de ces mots-la, ecrivait-elle a Gilbert, je les avalerai.
Maintenant ma vie n'est plus qu'une pincee de cendre, et je ne pourrai
de longtemps regarder ma cheminee sans pleurer."
Etait-elle sincere? demanderez-vous peut-etre. Ne fit elle aucune
tentative pour revoir son amant? Ne se repentait-elle pas de son
sacrifice? N'essaya-t-elle jamais de revenir sur sa resolution? Oui,
madame, elle l'essaya; je ne veux la faire ni meilleure ni plus brave
qu'elle ne l'a ete. Oui, elle essaya de mentir, de tromper son mari; en
depit de ses serments, de ses promesses, de ses douleurs et de ses
remords, elle revit Gilbert; et, apres avoir passe deux heures avec lui
dans un delire de joie et d'amour, elle sentit, en rentrant chez elle,
qu'elle ne pouvait ni tromper ni mentir; je vous dirai plus, Gilbert le
sentit lui-meme, et ne lui demanda pas de revenir.
Cependant il ne partait pas encore, et ne parlait plus de voyage. Au bout
de quelques jours, il voulait deja se persuader qu'il etait plus calme,
et qu'il n'y avait aucun danger a rester. Il tachait, dans ses lettres,
de faire consentir Emmeline a ce qu'il passat l'hiver a Paris. Elle
hesitait; et, tout en renoncant a l'amour, elle commencait a parler
d'amitie. Ils cherchaient tous deux mille motifs de prolonger leur
souffrance, ou du moins de se voir souffrir. Qu'allait-il arriver? Je ne
sais.
IX
Je crois vous avoir dit, madame, qu'Emmeline avait une soeur. C'etait
Une belle et grande jeune fille, et de plus un excellent coeur. Soit par
une timidite excessive, soit par une autre cause, elle n'avait jamais
parle a Gilbert qu'avec une extreme reserve, et presque avec repugnance,
lorsqu'elle avait eu occasion de le rencontrer. Gilbert avait des manieres
d'etourdi et des facons de dire qui, bien que simples et naturelles,
devaient blesser une modestie et une pudeur parfaites. La franchise
meme du jeune homme et son caractere exalte avaient peu de chances de
rencontrer de la sympathie chez la severe Sarah (c'etait le nom de la
soeur d'Emmeline). Aussi quelques mots de politesse echanges au hasard,
quelques compliments lorsque Sarah chantait, une contredanse de temps en
temps, c'etait la toute la connaissance qu'ils avaient faite, et leur
amitie n'al
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