r d'elle; elle le
retrouva au retour; mais, de vive et alerte qu'elle etait, elle devint
sedentaire. Il semblait que l'agilite de son corps l'eut quittee, et ne
fut restee que dans son esprit. Elle sortait rarement, comme son mari,
et on ne passait guere le soir sous sa fenetre sans voir la lumiere de sa
lampe. La se rassemblaient quelques amis; comme les gens d'elite se
cherchent, l'hotel de Marsan fut bientot un lieu de reunion tres agreable,
que l'on n'abordait ni trop difficilement ni trop aisement, et qui eut le
bon sens de ne pas devenir un bureau d'esprit. M. de Marsan, habitue a
une vie plus agitee, s'ennuyait de ne savoir que faire. Les conversations
et l'oisivete n'avaient jamais ete fort a son gout. On le vit d'abord
plus rarement chez la comtesse, et peu a peu on ne le vit plus. On a dit
meme que, fatigue de sa femme, il avait pris une maitresse; comme ce
n'est pas prouve, nous n'en parlerons pas.
Cependant Emmeline avait vingt-cinq ans, et sans se rendre compte de ce
qui se passait en elle, elle sentait aussi l'ennui la gagner. L'_allee
des Soupirs_ lui revint en memoire, et la solitude l'inquieta. Il lui
semblait eprouver un desir, et, quand elle cherchait ce qui lui manquait,
elle ne trouvait rien. Il ne lui venait pas a la pensee qu'ont put
aimer deux fois dans sa vie; sous ce rapport, elle croyait avoir epuise
son coeur, et M. de Marsan en etait pour elle l'unique depositaire;
lorsqu'elle entendait la Malibran, une crainte involontaire la saisissait;
rentree chez elle et renfermee, elle passait quelquefois la nuit entiere
a chanter seule, et il arrivait que sur ses levres les notes devenaient
convulsives.
Elle crut que sa passion pour la musique suffirait pour la rendre
heureuse; elle avait une loge aux Italiens, qu'elle fit tendre de soie,
comme un boudoir. Cette loge, decoree avec un soin extreme, fut pendant
quelque temps l'objet constant de ses pensees; elle en avait choisi
l'etoffe, elle y fit porter une petite glace gothique qu'elle aimait. Ne
sachant comment prolonger ce plaisir d'enfant, elle y ajoutait chaque
jour quelque chose; elle fit elle-meme pour sa loge un petit tabouret en
tapisserie qui etait un chef-d'oeuvre; enfin, quand tout fut decidement
acheve, quand il n'y eut plus moyen de rien inventer, elle se trouva
seule, un soir, dans son coin cheri, en face du _Don Juan_ de Mozart.
Elle ne regardait ni la salle ni le theatre; elle eprouvait une
impatience irresistible; Rubini, madame H
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