einefetter et mademoiselle
Sontag chantaient le trio des masques, que le public leur fit repeter.
Perdue dans sa reverie, Emmeline ecoutait de toute son ame; elle
s'apercut, en revenant a elle, qu'elle avait etendu le bras sur une
chaise vide a ses cotes, et qu'elle serrait fortement son mouchoir a
defaut d'une main amie. Elle ne se demanda pas pourquoi M. de Marsan
n'etait pas la, mais elle se demanda pourquoi elle y etait seule, et
cette reflexion la troubla.
Elle trouva en rentrant son mari dans le salon, jouant aux echecs avec un
de ses amis. Elle s'assit a quelque distance, et, presque malgre elle,
regarda le comte. Elle suivait les mouvements de cette noble figure,
qu'elle avait vue si belle a dix-huit ans lorsqu'il s'etait jete
au-devant de son cheval. M. de Marsan perdait, et ses sourcils fronces
ne lui pretaient pas une expression gracieuse. Il sourit tout a coup; la
fortune tournait de son cote, et ses yeux brillerent.
--Vous aimez donc beaucoup ce jeu? demanda Emmeline en souriant.
--Comme la musique, pour passer le temps, repondit le comte.
Et il continua sans regarder sa femme.
--Passer le temps! se repeta tout bas madame de Marsan, dans sa chambre,
au moment de se mettre au lit. Ce mot l'empechait de dormir.--Il est
beau, il est brave, se disait-elle, il m'aime. Cependant son coeur
battait avec violence; elle ecoutait le bruit de la pendule, et la
vibration monotone du balancier lui etait insupportable; elle se leva
pour l'arreter.--Que fais-je? demanda-t-elle; arreterai-je l'heure et le
temps, en forcant cette petite horloge a se taire?
Les yeux fixes sur la pendule, elle se livra a des pensees qui ne lui
etaient pas encore venues. Elle songea au passe, a l'avenir, a la
rapidite de la vie; elle se demanda pourquoi nous sommes sur terre, ce
que nous y faisons, ce qui nous attend apres. En cherchant dans son
coeur, elle n'y trouva qu'un jour ou elle eut vecu, celui ou elle avait
senti qu'elle aimait. Le reste lui sembla un reve confus, une succession
de journees uniformes comme le mouvement du balancier. Elle posa sa main
sur son front, et sentit un besoin invincible de vivre; dirai-je de
souffrir? Peut-etre. Elle eut prefere en cet instant la souffrance a sa
tristesse. Elle se dit qu'a tout prix elle voulait changer son existence.
Elle fit cent projets de voyage, et aucun pays ne lui plaisait.
Qu'irait-elle chercher? L'inutilite de ses desirs, l'incertitude qui
l'accablait l'effrayerent; elle c
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