funeste que je voulais prendre, m'arretent seuls. Je vivrai.
Mais il ne faut pas entierement arracher une pensee qui seule peut me
donner une apparence de tranquillite. Permettez, mon ami, que je la
place seulement a distance, avec des conditions; si, par exemple, une
entiere indifference pour moi prenait place dans votre coeur;--si, une
fois de retour, et le coeur raffermi, vous ne me veniez plus voir;--si
jamais mon image, mon amour ne venait plus;... il est impossible de
continuer l'affreuse vie que je mene. Le plus malheureux est celui qui
reste; il faut donc que ce soit vous qui partiez. Vos affaires vous le
permettent-elles? Ou voulez-vous que j'aille je ne sais ou? Repondez-moi,
ce sera vous qui aurez de la force; je n'en ai pas du tout; ayez pitie de
moi. Dites, que sais-je? que vous guerirez; mais ce n'est pas vrai!
N'importe, dites toujours. Evitez de me voir avant le voyage; il faut de
la force, et je ne sais ou en prendre. Je n'ai cesse de pleurer et de
vous ecrire depuis huit jours. Je jette tout au feu. Vous trouverez cette
lettre-ci encore bien incoherente. M. de Marsan sait tout: mentir m'a ete
impossible; d'ailleurs il le savait. Cependant cette lettre est loin
d'exprimer ce qu'il y a de contradictoire entre mon coeur et ma raison.
Allez dans le monde ces jours-ci, que votre depart n'ait point l'air d'un
coup de tete. De sitot je ne pourrai sortir ni recevoir. La voix me
manque a tous moments. Vous m'ecrirez, n'est-ce pas? il est impossible
que vous partiez sans m'ecrire quelques lignes. Voyager!... C'est vous
qui allez voyager!"
Le malheur de Gilbert lui parut un reve; il pensait a aller chez M. de
Marsan et a lui chercher querelle. Il tomba a terre au milieu de sa
chambre, et versa les larmes les plus ameres. Enfin il resolut de voir la
comtesse a tout prix, et d'avoir l'explication de cet evenement, qui lui
etait annonce d'une maniere si peu intelligible. Il courut a l'hotel de
Marsan, et, sans parler a aucun domestique, il penetra jusqu'au salon.
La, il s'arreta a la pensee de compromettre celle qu'il aimait et de la
perdre peut-etre par sa faute. Entendant quelqu'un approcher, il se jeta
derriere un rideau: c'etait le comte qui entrait. Demeure seul, Gilbert
avanca, et, entr'ouvrant la porte d'un cabinet vitre, il vit Emmeline
couchee et son mari pres d'elle. Au pied du lit etait un linge couvert de
sang, et le medecin s'essuyait les mains. Ce spectacle lui fit horreur;
il fremit de l'idee d'ajout
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