nee avec, et qu'elle n'a pas vu son
pere le gagner. C'etait precisement l'histoire d'Emmeline; elle avait
epouse M. de Marsan uniquement parce qu'il lui avait plu et qu'elle
n'avait ni pere ni mere pour la contrarier; mais, quant a la difference
de fortune, elle n'y avait seulement pas pense. M. de Marsan l'avait
seduite par les qualites exterieures qui annoncent l'homme, la beaute et
la force. Il avait fait devant elle et pour elle la seule action qui eut
fait battre le coeur de la jeune fille; et, comme une gaiete habituelle
s'allie quelquefois a une disposition romanesque, ce coeur sans experience
s'etait exalte. Aussi la folle comtesse aimait-elle son mari a l'exces;
rien n'etait beau pour elle que lui, et, quand elle lui donnait le bras,
rien ne valait la peine qu'elle tournat la tete.
Pendant les quatre premieres annees apres le mariage, on les vit tres peu
l'un et l'autre. Ils avaient loue une maison de campagne au bord de la
Seine, pres de Melun; il y a dans cet endroit deux ou trois villages qui
s'appellent le May, et comme apparemment la maison est batie a la place
d'un ancien moulin, on l'appelle le _Moulin de May_. C'est une habitation
charmante; on y jouit d'une vue delicieuse. Une grande terrasse, plantee
de tilleuls, domine la rive gauche du fleuve, et on descend du parc au
bord de l'eau par une colline de verdure. Derriere la maison est une
basse-cour d'une proprete et d'une elegance singulieres, qui forme a elle
seule un grand batiment au milieu duquel est une faisanderie; un parc
immense entoure la maison, et va rejoindre le bois de la Rochette. Vous
connaissez ce bois, madame; vous souvenez-vous de l'_allee des Soupirs?_
Je n'ai jamais su d'ou lui vient ce nom; mais j'ai toujours trouve
qu'elle le merite. Lorsque le soleil donne sur l'etroite charmille, et
qu'en s'y promenant seul au frais pendant la chaleur de midi, on voit
cette longue galerie s'etendre a mesure qu'on avance, on est inquiet et
charme de se trouver seul, et la reverie vous prend malgre vous.
Emmeline n'aimait pas cette allee; elle la trouvait sentimentale, et ses
railleries du couvent lui revenaient quand on en parlait. La basse-cour,
en revanche, faisait ses delices; elle y passait deux ou trois heures par
jour avec les enfants du fermier. J'ai peur que mon heroine ne vous
semble niaise si je vous dis que, lorsqu'on venait la voir, on la trouvait
quelquefois sur une meule, remuant une enorme fourche et les cheveux
entremeles de f
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