oin; mais elle sautait a terre comme un oiseau, et, avant
que vous eussiez le temps de voir l'enfant gate, la comtesse etait pres
de vous, et vous faisait les honneurs de chez elle avec une grace qui
fait tout pardonner.
Si elle n'etait pas a la basse-cour, il fallait alors, pour la rencontrer,
gagner au fond du parc un petit tertre vert au milieu des rochers:
c'etait un vrai desert d'enfant, comme celui de Rousseau a Ermenonville,
trois cailloux et une bruyere; la, assise a l'ombre, elle chantait a
haute voix en lisant les Oraisons funebres de Bossuet, ou tout autre
ouvrage aussi grave. Si la encore vous ne la trouviez pas, elle courait a
cheval dans la vigne, forcant quelque rosse de la ferme a sauter les
fosses et les echaliers, et se divertissant toute seule aux depens de la
pauvre bete avec un imperturbable sang-froid. Si vous ne la voyiez ni a
la vigne, ni au desert, ni a la basse-cour, elle etait probablement
devant son piano, dechiffrant une partition nouvelle, la tete en avant,
les yeux animes et les mains tremblantes; la lecture de la musique
l'occupait tout entiere, et elle palpitait d'esperance en pensant qu'elle
allait decouvrir un air, une phrase de son gout. Mais si le piano etait
muet comme le reste, vous aperceviez alors la maitresse de la maison
assise ou plutot accroupie sur un coussin au coin de la cheminee, et
tisonnant, la pincette a la main. Ses yeux distraits cherchent dans les
veines du marbre des figures, des animaux, des paysages, mille aliments
de reveries, et, perdue dans cette contemplation, elle se brule le bout
du pied avec sa pincette rougie au feu.
Voila de vraies folies, allez-vous dire; ce n'est pas un roman que je
fais, madame, et vous vous en apercevez bien.
Comme, malgre ses folies, elle avait de l'esprit, il se trouva que, sans
qu'elle y pensat, il s'etait forme au bout de quelque temps un cercle de
gens d'esprit autour d'elle. M. de Marsan, en 1829, fut oblige d'aller
en Allemagne pour une affaire de succession qui ne lui rapporta rien. Il
ne voulut point emmener sa femme et la confia a la marquise d'Ennery, sa
tante, qui vint loger au Moulin de May. Madame d'Ennery etait d'humeur
mondaine; elle avait ete belle aux beaux jours de l'empire, et elle
marchait avec une dignite folatre, comme si elle eut traine une robe a
queue. Un vieil eventail a paillettes, qui ne la quittait pas, lui
servait a se cacher a demi lorsqu'elle se permettait un propos grivois,
qui lui echappait vol
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