robe de
gaze comme un costume de chasse, et, sans se mirer les trois quarts du
temps, partait joyeuse.
Vous sentez qu'avec sa fortune (car du vivant de sa mere sa dot etait
considerable) on lui proposait tous les jours des partis. Elle n'en
refusait aucun sans examen; mais ces examens successifs n'etaient pour
elle que l'occasion d'une galerie de caricatures. Elle toisait les gens
de la tete aux pieds avec plus d'assurance qu'on n'en a ordinairement a
son age; puis, le soir, enfermee avec ses bonnes amies, elle leur donnait
une representation de l'entrevue du matin; son talent naturel pour
l'imitation rendait cette scene d'un comique acheve. Celui-la avait
l'air embarrasse, celui-ci etait fat; l'un parlait du nez, l'autre
saluait de travers. Tenant a la main le chapeau de son oncle, elle
entrait, s'asseyait, causait de la pluie et du beau temps comme a une
premiere visite, en venait peu a peu a effleurer la question matrimoniale,
et, quittant brusquement son role, eclatait de rire; reponse decisive
qu'on pouvait porter a ses pretendants.
Un jour arriva cependant ou elle se trouva devant son miroir, arrangeant
ses fleurs avec un peu plus d'art que de coutume. Elle etait ce jour-la
d'un grand diner, et sa femme de chambre lui avait mis une robe neuve
qui ne lui parut pas de bon gout. Un vieil air d'opera avec lequel on
l'avait bercee lui revint en tete:
Aux amants lorsqu'on cherche a plaire,
On est bien pres de s'enflammer.
L'application qu'elle se fit de ces paroles la plongea tout a coup dans
un emoi singulier. Elle demeura reveuse tout le soir, et pour la premiere
fois on la trouva triste.
M. de Marsan arrivait alors de Strasbourg, ou etait son regiment; c'etait
un des plus beaux hommes qu'on put voir, avec cet air fier et un peu
violent que vous lui connaissez. Je ne sais s'il etait du diner ou avait
paru la robe neuve, mais il fut prie pour une partie de chasse chez
madame Duval, qui avait une fort belle terre pres de Fontainebleau.
Emmeline etait de cette partie. Au moment d'entrer dans le bois, le bruit
Du cor fit emporter le cheval qu'elle montait. Habituee aux caprices de
l'animal, elle voulut l'en punir apres l'avoir calme; un coup de cravache
donne trop vivement faillit lui couter la vie. Le cheval ombrageux se
jeta a travers champs, et il entrainait a un ravin profond la cavaliere
imprudente, quand M. de Marsan, qui avait mis pied a terre, courut
l'arreter; mais le choc le renversa, et il eut le br
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