'il s'attendait a voir se precipiter l'un sur
l'autre. De Wardes avait reserve cette injure pour la derniere; il
serrait convulsivement son epee et attendait le choc.
-- Vous avez raison, monsieur, dit Raoul en faisant un violent
effort sur lui-meme, je ne connais que le nom de mon pere; mais je
sais trop combien M. le comte de La Fere est homme de bien et
d'honneur pour craindre un seul instant, comme vous semblez le
dire, qu'il y ait une tache sur ma naissance. Cette ignorance ou
je suis du nom de ma mere est donc seulement pour moi un malheur
et non un opprobre. Or, vous manquez de loyaute, monsieur; vous
manquez de courtoisie en me reprochant un malheur. N'importe,
l'insulte existe, et, cette fois, je me tiens pour insulte! Donc,
c'est chose convenue: apres avoir vide votre querelle avec
M. d'Artagnan, vous aurez affaire a moi, s'il vous plait.
-- Oh! oh! repondit de Wardes avec un sourire amer, j'admire votre
prudence, monsieur; tout a l'heure vous me promettiez un coup
d'epee de M. d'Artagnan, et c'est apres ce coup d'epee, deja recu
par moi, que vous m'offrez le votre.
-- Ne vous inquietez point, repondit Raoul avec une sourde colere;
M. d'Artagnan est un habile homme en fait d'armes et je lui
demanderai cette grace qu'il fasse pour vous ce qu'il a fait pour
monsieur votre pere, c'est-a-dire qu'il ne vous tue pas tout a
fait, afin qu'il me laisse le plaisir, quand vous serez gueri, de
vous tuer serieusement, car vous etes un mechant coeur, monsieur
de Wardes, et l'on ne saurait, en verite, prendre trop de
precautions contre vous.
-- Monsieur, j'en prendrai contre vous-meme, dit de Wardes, soyez
tranquille.
-- Monsieur, fit Buckingham, permettez-moi de traduire vos paroles
par un conseil que je vais donner a M. de Bragelonne: monsieur de
Bragelonne, portez une cuirasse.
De Wardes serra les poings.
-- Ah! je comprends, dit-il, ces messieurs attendent le moment ou
ils auront pris cette precaution pour se mesurer contre moi.
-- Allons! monsieur, dit Raoul, puisque vous le voulez absolument,
finissons-en.
Et il fit un pas vers de Wardes en etendant son epee.
-- Que faites-vous? demanda Buckingham.
-- Soyez tranquille, dit Raoul, ce ne sera pas long.
De Wardes tomba en garde: les fers se croiserent. De Wardes
s'elanca avec une telle precipitation sur Raoul, qu'au premier
froissement du fer, il fut evident pour Buckingham que Raoul
menageait son adversaire.
Buckingham recula d'un pas et r
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