n'est point une chose qui deshonore!
--Je ne doute pas plus de la probite de mon pere, repondit Croisilles,
que de son malheur. Je ne doute pas non plus de son affection; mais
j'aurais voulu l'embrasser, car que veux-tu que je devienne? Je ne suis
point fait a la misere, je n'ai pas l'esprit necessaire pour recommencer
ma fortune. Et quand je l'aurais? mon pere est parti. S'il a mis trente
ans a s'enrichir, combien m'en faudra-t-il pour reparer ce coup? Bien
davantage. Et vivra-t-il alors? Non sans doute; il mourra la-bas, et je
ne puis pas meme l'y aller trouver; je ne puis le rejoindre qu'en
mourant aussi.
Tout desole qu'etait Croisilles, il avait beaucoup de religion. Quoique
son desespoir lui fit desirer la mort, il hesitait a se la donner. Des
les premiers mots de cet entretien, il s'etait appuye sur le bras de
Jean, et tous deux retournaient vers la ville. Lorsqu'ils furent entres
dans les rues, et lorsque la mer ne fut plus si proche:
--Mais, monsieur, dit encore Jean, il me semble qu'un homme de bien a le
droit de vivre, et qu'un malheur ne prouve rien. Puisque votre pere ne
s'est pas tue, Dieu merci, comment pouvez-vous songer a mourir?
Puisqu'il n'y a point de deshonneur, et toute la ville le sait, que
penserait-on de vous? Que vous n'avez pu supporter la pauvrete. Ce ne
serait ni brave ni chretien; car, au fond, qu'est-ce qui vous effraye?
Il y a des gens qui naissent pauvres, et qui n'ont jamais eu ni pere ni
mere. Je sais bien que tout le monde ne se ressemble pas, mais enfin il
n'y a rien d'impossible a Dieu. Qu'est-ce que vous feriez en pareil cas?
Votre pere n'etait pas ne riche, tant s'en faut, sans vous offenser, et
c'est peut-etre ce qui le console. Si vous aviez ete ici depuis un mois,
cela vous aurait donne du courage. Oui, monsieur, on peut se ruiner,
personne n'est a l'abri d'une banqueroute; mais votre pere, j'ose le
dire, a ete un homme, quoiqu'il soit parti un peu vite. Mais que
voulez-vous? on ne trouve pas tous les jours un batiment pour
l'Amerique. Je l'ai accompagne jusque sur le port, et si vous aviez vu
sa tristesse! comme il m'a recommande d'avoir soin de vous, de lui
donner de vos nouvelles!... Monsieur, c'est une vilaine idee que vous
avez de jeter le manche apres la cognee. Chacun a son temps d'epreuve
ici-bas, et j'ai ete soldat avant d'etre domestique. J'ai rudement
souffert, mais j'etais jeune; j'avais votre age, monsieur, a cette
epoque-la, et il me semblait que la Providenc
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