nonces comme etant de mes parents. L'un
etait un merle du Senegal, et l'autre un merle de la Chine.
--Ah! monsieur, me dirent-ils en m'embrassant a m'etouffer, que vous
etes un grand merle! que vous avez bien peint, dans votre poeme
immortel, la profonde souffrance du genie meconu! Si nous n'etions pas
deja aussi incompris que possible, nous le deviendrions apres vous avoir
lu. Combien nous sympathisons avec vos douleurs, avec votre sublime
mepris du vulgaire! Nous aussi, monsieur, nous les connaissons par
nous-memes, les peines secretes que vous avez chantees! Voici deux
sonnets que nous avons faits, l'un portant l'autre, et que nous vous
prions d'agreer.
--Voici, en outre, ajouta le Chinois, de la musique que mon epouse a
composee sur un passage de votre preface. Elle rend merveilleusement
l'intention de l'auteur.
--Messieurs, leur dis-je, autant que j'en puis juger, vous me semblez
doues d'un grand coeur et d'un esprit plein de lumieres. Mais
pardonnez-moi de vous faire une question. D'ou vient votre melancolie?
--Eh! monsieur, repondit l'habitant du Senegal, regardez comme je suis
bati. Mon plumage, il est vrai, est agreable a voir, et je suis revetu
de cette belle couleur verte qu'on voit briller sur les canards; mais
mon bec est trop court et mon pied trop grand; et voyez de quelle queue
je suis affuble! la longueur de mon corps n'en fait pas les deux tiers.
N'y a-t-il pas la de quoi se donner au diable?
--Et moi, monsieur, dit le Chinois, mon infortune est encore plus
penible. La queue de mon confrere balaye les rues; mais les polissons me
montrent au doigt, a cause que je n'en ai point[2].
[Note 2: Ces descriptions du merle de la Chine et du merle du
Senegal sont exactes.]
--Messieurs, repris-je, je vous plains de toute mon ame; il est toujours
facheux d'avoir trop ou trop peu n'importe de quoi. Mais permettez-moi
de vous dire qu'il y a au Jardin des Plantes plusieurs personnes qui
vous ressemblent, et qui demeurent la depuis longtemps, fort
paisiblement empaillees. De meme qu'il ne suffit pas a une femme de
lettres d'etre devergondee pour faire un bon livre, ce n'est pas non
plus assez pour un merle d'etre mecontent pour avoir du genie. Je suis
seul de mon espece, et je m'en afflige; j'ai peut-etre tort, mais c'est
mon droit. Je suis blanc, messieurs; devenez-le, et nous verrons ce que
vous saurez dire.
VIII
Malgre la resolution que j'avais prise et le calme que j'affectais, je
n'et
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