la petite terre des Clignets. Ce
n'etait pas une maison assez riche pour entretenir un grand equipage,
mais comme les jeunes gens aimaient la chasse et que la baronne adorait
ses enfants, on avait fait venir des _foxhounds_ d'Angleterre; quelques
voisins avaient suivi cet exemple; ces petites meutes reunies formaient
de quoi composer des chasses passables dans les bois qui entouraient la
foret de Carenelle. Ainsi s'etaient etablies rapidement, entre les
habitants des Clignets et ceux de deux ou trois chateaux des environs,
des relations amicales et presque intimes. Madame de Vernage, comme on
vient de le voir, etait la reine du canton. Depuis le sieur de
Franconville et le magistrat de Beauvais jusqu'a l'elegant un peu
arriere de Luzarches, tout rendait hommage a la belle marquise, voire
meme le cure de Noisy. Renonval etait le rendez-vous de ce qu'il y avait
de personnes notables dans l'arrondissement de Pontoise. Toutes etaient
d'accord pour vanter, comme Tristan, la grace et la bonte de la
chatelaine. Personne ne resistait a l'empire souverain qu'elle exercait,
comme on dit, sur les coeurs; et c'est precisement pourquoi Armand etait
fache que son frere ne revint pas souper avec lui.
Il ne lui fut pas difficile de trouver un pretexte pour justifier cette
absence, et de dire a la baronne en rentrant que Tristan s'etait arrete
chez un fermier, avec lequel il etait en marche pour un coin de terre.
Madame de Berville, qui ne dinait qu'a neuf heures quand ses enfants
allaient a la chasse, afin de prendre son repas en famille, voulut
attendre pour se mettre a table que son fils aine fut revenu. Armand,
mourant de faim et de soif, comme tout chasseur qui a fait son metier,
parut mediocrement satisfait de ce retard qu'on lui imposait. Peut-etre
craignait-il, a part lui, que la visite a Renonval ne se prolongeat plus
longtemps qu'il n'avait ete dit. Quoi qu'il en fut, il prit d'abord,
pour se donner un peu de patience, un a-compte sur le diner, puis il
alla visiter ses chiens et jeter a l'ecurie le coup d'oeil du maitre, et
revint s'etendre sur un canape, deja a moitie endormi par la fatigue de
la journee.
La nuit etait venue, et le temps s'etait mis a l'orage. Madame de
Berville, assise, comme de coutume, devant son metier a tapisserie,
regardait la pendule, puis la fenetre, ou ruisselait la pluie. Une
demi-heure s'ecoula lentement, et bientot vint l'inquietude.
--Que fait donc ton frere? disait la baronne; il est imposs
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