la Bretonniere ne
viendrait pas diner, et que, si je craignais d'eveiller les gens en
sortant de Renonval un peu plus tard, je pouvais laisser mon cheval chez
le bonhomme du Heloy.
--Peste! dit Armand, tout cela dans un brin de saule!
--Oui, et plut a Dieu que j'eusse repousse du pied ce brin de saule
comme elle vient de le faire pour nos fleurs! Mais, je te l'ai dit et tu
l'as vu toi-meme, je l'aimais, j'etais sous le charme. Quelle
bizarrerie! Oui! hier encore je l'adorais; j'etais tout amour, j'aurais
donne mon sang pour elle, et aujourd'hui...
--Eh bien, aujourd'hui?
--Ecoute; il faut, pour que tu me comprennes, que tu saches d'abord une
petite aventure qui m'est arrivee l'an passe. Tu sauras donc qu'au bal
de l'Opera j'ai rencontre une espece de grisette, de modiste, je ne sais
quoi. Je suis venu a faire sa connaissance par un hasard assez
singulier. Elle etait assise a cote de moi, et je ne faisais nulle
attention a elle, lorsque Saint-Aubin, que tu connais, vint me dire
bonsoir. Au meme instant, ma voisine, comme effrayee, cacha sa tete
derriere mon epaule; elle me dit a l'oreille qu'elle me suppliait de la
tirer d'embarras, de lui donner le bras pour faire un tour de foyer; je
ne pouvais guere m'y refuser. Je me levai avec elle, et je quittai
Saint-Aubin. Elle me conta la-dessus qu'il etait son amant, qu'elle
avait peur de lui, qu'il etait jaloux, enfin, qu'elle le fuyait. Je me
trouvais ainsi tout a coup jouer, aux yeux de Saint-Aubin, le role d'un
rival heureux; car il avait reconnu sa grisette, et nous suivait d'un
air mecontent. Que te dirai-je? Il me parut plaisant de prendre a peu
pres au serieux ce role que l'occasion m'offrait. J'emmenai souper la
petite fille. Saint-Aubin, le lendemain, vint me trouver et voulut se
facher. Je lui ris au nez, et je n'eus pas de peine a lui faire entendre
raison. Il convint de bonne grace qu'il n'etait guere possible de se
couper la gorge pour une demoiselle qui se refugiait au bal masque pour
fuir la jalousie de son amant. Tout se passa en plaisanterie, et
l'affaire fut oubliee; tu vois que le mal n'est pas grand.
--Non, certes; il n'y a la rien de bien grave.
--Voici maintenant ce qui arrive: Saint-Aubin, comme tu sais, voit
quelquefois madame de Vernage. Il est venu ici et a Renonval. Or, cette
nuit, au moment meme ou la marquise, assise pres de moi, ecoutait de son
grand air de reine toutes les folies qui me passaient par la tete, et
essayait, en souriant
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