--C'est bien cela, dit Marcel; je reconnais ce vetement pour l'avoir vu
tout neuf il y a dix-huit mois. C'est la robe de chambre, l'amazone et
l'uniforme de parade de Mimi. Il doit y avoir a la manche gauche une
petite tache grosse comme une piece de cinq sous, causee parle vin de
Champagne. Et combien avez-vous prete la-dessus, pere Cadedis? car je
suppose que cette robe n'est pas vendue, et qu'elle ne se trouve dans ce
boudoir qu'en qualite de nantissement.
--J'ai prete quatre francs, repondit le barbier; et je vous assure,
monsieur, que c'est pure charite. A toute autre je n'aurais pas avance
plus de quarante sous, car la piece est diablement mure; on y voit a
travers, c'est une lanterne magique. Mais je sais que mademoiselle Mimi
me payera; elle est bonne pour quatre francs.
--Pauvre Mimi! reprit Marcel. Je gagerais tout de suite mon bonnet
qu'elle n'a emprunte cette petite somme que pour l'envoyer a Rougette.
--Ou pour payer quelque dette criarde, dit Eugene.
--Non, dit Marcel, je connais Mimi; je la crois incapable de se
depouiller pour un creancier.
--Possible encore, dit le barbier. J'ai connu mademoiselle Mimi dans une
position meilleure que celle ou elle se trouve actuellement; elle avait
alors un grand nombre de dettes. On se presentait journellement chez
elle pour saisir ce qu'elle possedait, et on avait fini, en effet, par
lui prendre tous ses meubles, excepte son lit, car ces messieurs savent
sans doute qu'on ne prend pas le lit d'un debiteur. Or, mademoiselle
Mimi avait dans ce temps-la quatre robes fort convenables. Elle les
mettait toutes les quatre l'une sur l'autre, et elle couchait avec pour
qu'on ne les saisit pas; c'est pourquoi je serais surpris si, n'ayant
plus qu'une seule robe aujourd'hui, elle l'engageait pour payer
quelqu'un.
--Pauvre Mimi! repeta Marcel. Mais, en verite, comment
s'arrange-t-elle? Elle a donc trompe ses amis? elle possede donc un
vetement inconnu? Peut-etre se trouve-t-elle malade d'avoir trop mange
de galette, et, en effet, si elle est au lit, elle n'a que faire de
s'habiller. N'importe, pere Cadedis, cette robe me fait peine, avec ses
manches pendantes qui ont l'air de demander grace; tenez, retranchez-moi
quatre francs sur les trente-cinq livres que vous venez de m'avancer, et
mettez-moi cette robe dans une serviette, que je la rapporte a cette
enfant. Eh bien! Eugene, continua-t-il, que dit a cela ta charite
chretienne?
--Que tu as raison, repondit Eugen
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