es aimez,
ils sont dans votre memoire; leur souffle a passe sur vos levres. Je
m'assieds aussi a ce clavecin, j'essaye d'y jouer un de ces airs qui
vous plaisent; qu'ils me semblent froids, monotones! je les laisse et
les ecoute mourir, tandis que l'echo s'en perd sous cette voute lugubre.
Mon pere se retourne et me voit desole; qu'y peut-il faire? Un propos de
ruelle, d'antichambre, a ferme nos grilles. Il me voit jeune, ardent,
plein de vie, ne demandant qu'a etre au monde; il est mon pere et n'y
peut rien..."
--Ne dirait-on pas, dit le roi, que ce garcon s'en allait en chasse, et
qu'on lui tue son faucon sur le poing? A qui en a-t-il, par hasard?
"Il est bien vrai, reprit la marquise, continuant la lecture d'un ton
plus bas, il est bien vrai que nous sommes proches voisins et parents
eloignes de l'abbe Chauvelin..."
--Voila donc ce que c'est! dit Louis XV en baillant. Encore quelque
neveu des enquetes et requetes. Mon parlement abuse de ma bonte; il a
vraiment trop de famille.
--Mais si ce n'est qu'un parent eloigne!...
--Bon, ce monde-la ne vaut rien du tout. Cet abbe Chauvelin est un
janseniste; c'est un bon diable, mais c'est un demis. Jetez cette lettre
au feu, et qu'on ne m'en parle plus.
II
Les derniers mots prononces par le roi n'etaient pas tout a fait un
arret de mort, mais c'etait a peu pres une defense de vivre. Que pouvait
faire, en 1756, un jeune homme sans fortune, dont le roi ne voulait pas
entendre parler? Tacher d'etre commis, ou se faire philosophe, poete
peut-etre, mais sans dedicace, et le metier, en ce cas, ne valait rien.
Telle n'etait pas, a beaucoup pres, la vocation du chevalier de Vauvert,
qui venait d'ecrire avec des larmes la lettre dont le roi se moquait.
Pendant ce temps-la, seul, avec son pere, au fond du vieux chateau de
Neauflette, il marchait par la chambre d'un air triste et furieux.
--Je veux aller a Versailles, disait-il.
--Et qu'y ferez-vous?
--Je n'en sais rien; mais que fais-je ici.
--Vous me tenez compagnie; il est bien certain que cela ne peut pas etre
fort amusant pour vous, et je ne vous retiens en aucune facon. Mais
oubliez-vous que votre mere est morte?
--Non, monsieur, et je lui ai promis de vous consacrer la vie que vous
m'avez donnee. Je reviendrai, mais je veux partir; je ne saurais plus
rester dans ces lieux.
--D'ou vient cela?
--D'un amour extreme. J'aime eperdument mademoiselle d'Annebault.
--Vous savez que c'est inutile
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