r," il resta immobile et presque
effraye.
Le roi Louis XV, qui faisait a cheval, a la chasse, une douzaine de
lieues sans y prendre garde, etait, comme l'on sait, souverainement
nonchalant. Il se vantait, non sans raison, d'etre le premier
gentilhomme de France; et ses maitresses lui disaient, non sans cause,
qu'il en etait le mieux fait et le plus beau. C'etait une chose
considerable que de le voir quitter son fauteuil, et daigner marcher en
personne. Lorsqu'il traversa le foyer, avec un bras pose ou plutot
etendu sur l'epaule de M. d'Argenson, pendant que son talon rouge
glissait sur le parquet (il avait mis cette paresse a la mode), toutes
les chuchoteries cesserent; les courtisans baissaient la tete, n'osant
pas saluer tout a fait, et les belles dames, se repliant doucement sur
leurs jarretieres couleur de feu, au fond de leurs immenses falbalas,
hasardaient ce bonsoir coquet que nos grand'meres appelaient une
reverence, et que notre siecle a remplace par le brutal "shakehand" des
Anglais.
Mais le roi ne se souciait de rien, et ne voyait que ce qui lui
plaisait. Alfieri etait peut-etre la, qui raconte ainsi sa presentation
a Versailles, dans ses Memoires:
"Je savais que le roi ne parlait jamais aux etrangers qui n'etaient pas
marquants; je ne pus cependant me faire a l'impassible et sourcilleux
maintien de Louis XV. Il toisait l'homme qu'on lui presentait de la tete
aux pieds, et il avait l'air de n'en recevoir aucune impression. Il me
semble cependant que, si l'on disait a un geant: _Voici une fourmi que
je vous presente_, en la regardant il sourirait, ou dirait peut-etre:
Ah! le petit animal!"
Le taciturne monarque passa donc a travers ces fleurs, ces belles
dames, et toute cette cour, gardant sa solitude au milieu de la foule.
Il ne fallut pas au chevalier de longues reflexions pour comprendre
qu'il n'avait rien a esperer du roi, et que le recit de ses amours
n'obtiendrait la aucun succes.
--Malheureux que je suis! pensa-t-il, mon pere n'avait que trop raison
lorsqu'il me disait qu'a deux pas du roi je verrais un abime entre lui
et moi. Quand bien meme je me hasarderais a demander une audience, qui
me protegera? qui me presentera? Le voila, ce maitre absolu qui peut
d'un mot changer ma destinee, assurer ma fortune, combler tous mes
souhaits. Il est la, devant moi; en etendant la main, je pourrais
toucher sa parure,... et je me sens plus loin de lui que si j'etais
encore au fond de ma province! Comment
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